Dans un précédent article savamment intitulé « Mini-leçons sur le bonheur » nous étions arrivés à la conclusion que certains de nos contemporains, méritant manifestement plus que d’autres leur première syllabe, cultivaient l’art de nous contraindre à de multiples manœuvres d’évitement.
Bien entendu, ceci incluait les sportifs semi-professionnels (s’ils ne le font même pas pour l’argent, quelle grille de lecture pour comprendre leur comportement ?!), et les porteurs de sarouel (qui sont-ils ?, que nous veulent-ils ?, que cherchent-ils à prouver ?, trop de questions demeurent sans réponses à leur sujet !). De même, il est évident que toute personne dénuée des dispositions cérébrales permettant l’appréhension du second degré, requiert de notre part une méfiance de tous les instants. Enfin, « Trotskiste convaincu », « membre du Tea Party » et « fan de Florent Pagny » sont d’importantes sonnettes d’alarme dans le choix de nos affinités électives.
Mais à côté de ces obstacles par trop évidents, d’autres chauffards de l’existence doivent absolument être repérés à temps si nous voulons pouvoir changer de trottoir avant de les croiser sur notre route. Comme le disait Lao Tseu : « Il n’y a pas de chemin vers le bonheur ; le bonheur c’est le chemin ! » Dès lors, il devient absolument indispensable de choisir correctement les usagers de la route avec lesquels nous nous proposons de covoiturer. Et là, heureuse nouvelle : il semble bien que, à l’instar de n’importe quelle voie carrossable, le chemin de la vie est à deux bandes, et contient un trottoir de chaque côté, dont nous pouvons changer presqu’à tout moment pour éviter un maximum d’importuns !
Mais d’abord, qui sont-ils ? Dressons-en ci-dessous, ensemble, une petite liste si vous le voulez bien (ou allez mettre de futurs-ex-poussins dans une marmite remplie d’atomes de H2O en ébullition). Quant à moi je vous retrouve après un petit interlude aviaire !
Voilà. De rien.
Contrairement au prérequis élémentaire à tout service de police dans un Etat vaguement démocratique, le contrôle au faciès sur le chemin de la vie est une méthode à utiliser sans modération. Et si vous redoutez de passer, à cause de cela, à côté de quelques habiles compagnons de route potentiels n’ayant pas le physique de leur humour, rassurez-vous : nous sommes sept milliards d’humanoïdes sur cette planète. Si vous loupez une heureuse occasion de covoiturage juste parce que la tête d’un auto-stoppeur ne vous revenait pas, il en reste approximativement six-milliard-neuf-cent-million-neuf-cent-nonante-neuf-mille-neuf-cent-nonante-huit à croiser (vous allez rire : j’allais dire « il en reste six-milliard-neuf-cent-million-neuf-cent-nonante-neuf-mille-neuf-cent-nonante-neuf », puis je me suis rendu compte que ça ne collait pas : vous ne pouvez tout de même vous prendre vous-même en voiture* ?!).
A ce stade-ci, quelques précautions d’usage, à l’endroit de mes lecteurs un peu trop portés sur les stéréotypes : contrôle au faciès ne veut pas dire intolérance. Ca veut juste dire « faire confiance à votre instinct ». Genre, origine ethnique, pantone epidermique ou même port de la moustache : au contraire de celui du sac banane, rien de tout ceci n’est inversément corrélé avec le capital sympathie, ni même avec le sens de l’humour des passants que vous rencontrez en arpentant les trottoirs de l’existence.
Quoi qu’il en soit, si cette mesure d’évitement ex ante est le scénario idéal, la chose pour autant ne s’avère pas toujours possible. Si au contraire, et comme c’est statistiquement inévitable, vous rencontrez sur votre chemin quelques humains n’ayant cette fois-ci pas l’humour de leur physique, vous voici forcé de les détecter au plus vite, afin de pouvoir envisager les mesures d’évitement ex post. « Mais Kika, comment procéder ? », me demanderez-vous peut-être, avec la curiosité que je vous connais. Sauf si vous êtes ma plus jeune soeur. Auquel cas vous me demanderez « Mais Chouchou, comment procéder ? », avec la curiosité et l’excès de familiarité que je vous connais. Dans les deux cas, la réponse est identiquement complexe. Et simple. Les deux à la fois.
Lorsque vous serez parvenu – ou parvenue (j’ai horreur de l’écrit.ure inclusif.ve, mais ce n’est pas pour cela que je tiens à me désolidariser de mon lectorat féminin) – à maintenir la distance de sécurité avec les nuisibles les plus facilement identifiables du troupeau (dans le désordre : les intolérants auto-diagnostiqués au gluten, les secrétaires acariâtres, les fonctionnaires-délégués provinciaux à l’urbanisme et autres bénévoles de Greenpeace qui vous assaillent à coup de « Excusez-moi Monsieur : est-ce que vous aimez la nature ? » ; l’indiscrétion associée à un ton passif-agressif… marriage made in Heaven !), il vous restera à identifier les derniers empêcheurs de rouler en rond.
Ces créatures qui ne portent aucun signe distinctif, et dont le pouvoir de nuisance est suffisamment diffus pour échapper – parfois très longtemps – à la lumière de nos phares, sont nombreuses et protéiformes. Mais heureusement, encore une bonne nouvelle : elles ont tout de même l’amabilité d’appartenir presque systématiquement à l’une et/ou l’autre de ces catégories de nuisibles donnant l’impression d’avoir passé un concours de circonstances en lieu et place du permis de conduire : les cérébronanistes, et les capillotracteurs. Ces deux espèces, que le WWF situe dans sa nomenclature comme « en voie d’invasion – pèche intensive instamment demandée aux baleiniers japonais », doivent faire l’objet de notre vigilance la plus absolue lorsque nous sommes au volant.
Tous ces gens ravis derrière leur comptoir d’administration, tous ces indécis et autres individus trop prompts à payer leurs courses en cents en concluant que « le-compte-est-bon » ou que « les-bons-comptes-font-les-bonzes-amis »… sont à ranger parmi les capillotracteurs. Ces dangereux chauffards de la vie, comparables aux centristes de nos autoroutes, sont une véritable menace au conduire-ensemble. Attention : ils vous colleront volontiers au pare-chocs, et s’offusqueront de votre volonté de les dépasser par la droite ; ils voudront savoir pourquoi, ne serait-ce que pour le plaisir de vous poser tout un tas de questions moins pertinentes les unes que les autres.
Les cérébronanistes quant à eux font plutôt office de poids-lourds de notre parcours de vie : n’ayant de cesse de nous polluer, ils vont trop lentement pour qu’on les suive, et ne sont jamais aussi importuns que lorsqu’ils tentent de se dépasser. Cependant, trop heureux de s’écouter parler, ces derniers ne remarqueront sans doute même pas que vous avez changé de trottoir depuis une demi-heure. Troisième et dernière bonne nouvelle pour aujourd’hui.
Afin de ne pas verser dans la seconde catégorie ci plus haut décriée, je vous laisse pour cette semaine, sur ces quelques conseils, qui se veulent à votre conduite de la vie ce que les panneaux routiers sont à votre conduite automobile : de simples suggestions.
Bonne route !
Kikh
*Si un schizophrène me lit, merci de bien vouloir tous les deux supprimer ce dernier commentaire.