Dans un précédent article, chef d’oeuvre de concision et de finesse d’esprit, nous nous étions mis d’accord sur le fait que la supposée hypocondrie masculine n’était qu’un immense complot ourdi par nos consoeurs de la gent féminine, pour ruiner la réputation des plus fragiles représentants mâles de l’espèce. Auparavant, et avec le même brio, votre serviteur avait déjà rédigé sur ce blog un riche plaidoyer pour la mise en quarantaine, dans l’espace public et au travail, de tout individu présentant les premiers signes d’une infection virale ou bactérienne. Comme disait Desproges : « Ce n’est pas parce que je ne suis pas parano qu’ils ne sont pas tous après moi ! »
Inutile de préciser que ces deux articles avaient connu un franc succès d’estime auprès de mon lectorat, et essentiellement de mon public-cible : la jeune ménagère retraitée mère de cinq enfants relectrice de blogs désignée. C’est un public de niche, particulièrement exigeant sur la syntaxe et l’orthographe, et dont je me targue d’être l’un des bloggeurs favoris.
Mais s’il est toujours bon de respecter scrupuleusement les normes édictées par l’Académie française lorsqu’on a la prétention de prendre la plume virtuelle, encore faut-il pouvoir assumer ses propos une fois publiés. Et là encore, votre serviteur se targue de faire preuve de la plus grande honnêteté intellectuelle. A tel point que, récemment atteint d’une terrible fièvre digne de la race chevaline, je décidai de prudemment garder le lit, avec l’autorisation enthousiaste de ma physiologue, et de ma collègue de bureau – dont le ton enjoué lorsque je lui annonçai mon intention aurait pu vexer quelqu’un de moins humble que moi.
Heureusement pour ma physiologue en revanche, elle n’avait guère d’autre choix, après que je lui eus indiqué le nombre affolant affiché par le thermomètre que j’avais chargé d’évaluer la situation. Ce n’est que bien plus tard, ayant récupéré mes facultés mentales, que je réalisai, confus, que je l’avais peut-être légèrement induite en erreur, par une minuscule – et bien involontaire – imprécision dans mon calcul de conversion entre les degrés Celsius que je lui avais transmis, et les degrés Fahrenheit indiqués par ledit thermomètre, souvenir d’un séjour Outre-Atlantique (NB: je n’ai pas précisé QUI avait effectué ce séjour, je le précise pour mes lecteurs les plus assidus, qui se rappelleraient mon article sur les terribles dangers du transport aérien !).
Quoi qu’il en soit, coincé sous une demi-douzaine de couettes, ayant « arrêté la pendule et coupé le téléphone », je me trouvais subreptiscement gagné par la crainte de voir arriver l’inéluctable (rappelez-vous que cette sotte erreur de conversion Fahrenheit-Celsius me laissait légitimement envisager un épilogue dramatique !). Et c’est alors que je me remémorai les dernières paroles de Claude Favre de Vaugelas, linguiste et grammairien, qui sur son lit de mort demeurait soucieux d’instruire ses semblables : « Mes amis, je m’en vais ou je m’en vas ; l’un et l’autre se dit ou se disent ! ». Tant de verve et d’à-propos, au moment de son trépas, m’avaient toujours rendu cet individu fort sympathique. Mais alors que je voyais ma dernière heure arriver, impossible de ne pas, aussi, ressentir envers lui une pointe de jalousie : allais-je réussir à mon tour un exit final rempli de cet admirable aplomb ? Et si oui, comment ?
Ne trouvant pas de réponse intelligente à cette grave angoisse post-existentielle, je décidai de prendre le problème à revers, et me mis en quête de réconfort en songeant qu’à défaut d’une sortie particulièrement réussie, à tout le moins n’étais-je pas en train de préparer l’une de ces fameuses sorties ratées, dont l’Histoire est remplie.
Car oui, certains personnages hautement illustres – bien plus encore que cet obscur Monsieur de Vaugelas, dont l’Histoire, à l’instar de Jean-Pierre Foucault, ne retiendra que le « dernier mot » – ont eu l’amabilité de placer la barre si haut en matière de rideau final, que nous pouvons désormais tous trépasser sur nos deux oreilles. Ainsi du roi des Francs Louis III qui, en 1135 avant #MeToo, ne trouva rien de mieux que de courser, sur son fidèle destrier, une jeune demoiselle dont l’obtention du consentement explicite ne semblait que peu lui chaloir. La jeune personne, apparemment guère désireuse de se soumettre au bon vouloir de ce Harvey Weinstein en puissance, partit se réfugier dans sa chaumière… dont il s’avéra assez vite que, bizarrement, la porte d’entrée ne permettait pas le passage à un homme à cheval. La rencontre entre sa boîte crânienne et le linteau de la porte coûta la vie, et toute chance de sortie réussie, à Louis III, roi des Francs – et des andouilles.
Quelques siècles plus tard, en janvier 1547, c’est un certain Gian Luigi Fieschi qui décida d’offrir une véritable planche de salut à tous ceux et celles qui craindraient, après lui, de partir dans l’indifférence de leurs semblables. Issu d’une illustre famille de Ligurie, Gian Luigi Fieschi décida cette année-là de mener un coup d’état en bonnes et dues formes contre Andrea Doria, Condottiere et Amiral de la République de Gênes. Le coup d’état fut à deux doigts de réussir, mais tomba à l’eau en même temps que son meneur ; Gian Luigi glissa en effet sur une planche, et se noya corps et biens dans la lagune. Le pouvoir en place repris ses aises – ainsi qu’au passage les biens et privilèges de la famille Fieschi, devenue encore plus gênante que gênoise. Sic transit gloria mundi.
Passons très rapidement sur la fin stupide de Jean-Baptiste Lully, Surintendant de la Musique à la Cour du Roi Louis XIV et qui mourut d’une gangrène, après s’être adroitement écrasé l’orteil avec son bâton de direction (pas surprenant que, depuis lors, la plupart des chefs d’orchestres aient décidé d’opter pour un bâtonnet de mikado, en lieu et place de ce dangereux gourdin !).
Et enfin, comment ne pas songer au triste trépas de Monsieur William Henry Harrison, neuvième – et inoubliable ! – Président des Etats-Unis d’Amérique, dont la présidence dura près d’un mois : juste le temps de claquer d’une pneumonie contractée probablement lors de son discours d’investiture, prononcé par un froid de canard, et manifestement trop long pour sa fragile complexion de quasi-septuagénaire ?! Au vu de l’âge du candidat Harrison, que l’on pouvait juger canonique pour l’époque, son co-listier John Tyler savait sûrement qu’il faisait une bonne affaire… Mais le résultat fut indubitablement au-delà de ses espérances !
L’évocation de ces quelques personnages historiques, célèbres pour leurs glissades finales, fut ma planche de salut à moi, et ma conscience fiévreuse ainsi rassérénée, je pus m’abîmer dans le sommeil du juste. Au réveil, cet épouvantable excès de température (37,5° Celsius, mais encore une fois, attendez de l’avoir vue en Fahrenheit pour me juger, d’avance merci !) n’était déjà plus qu’un mauvais souvenir, et je pus éloigner de ma mémoire, pour un temps, la rédaction de mon épitaphe. Par contre, ne comptez pas sur moi pour une promenade à cheval au bord de la mer cet hiver ; c’est non !
A la semaine prochaine, en espérant que le thermomètre ne descendra pas trop vite sous les 32° Fahrenheit,
Kikh
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