L’histoire d’aujourd’hui se passe dans très très longtemps, dans un monde post-apocalypkikh. Lentement mais sûrement, sous le regard médusé d’inspecteurs de l’OMS dépassés par les évènements, et trop occupés à recenser les morts, le coronavirus avait muté. Il s’était changé en westmallovirus en atteignant la capitale européenne. Ce virus de BONHOMME s’avéra plus meurtrier que son prédécesseur. Rapidement incontrôlable, on eut beau fermer les frontières aux touristes asiatiques et à l’acteur Gérard Depardieu, rien n’y fit : l’Europe de l’Ouest était décimée, et celle de l’Est attendait son heure. Elle ne fut pas déçue, touchée à son tour par une troisième souche mutante, capable de survivre au gel et de frapper même en hiver, le vodkavirus. L’Apocalhips était là.
Au printemps 2025 EC, ce qu’il restait de l’espèce humaine trouva enfin la parade, mais il était trop tard. L’OMS interrompit son macabre recensement pour édicter les nouvelles règles drastiques devant permettre l’endiguement, et l’éradication définitive de l’épouvantable pandémie. Hélas, les derniers humains malgré toute leur bonne volonté, n’étaient pas encore mûrs pour appliquer à la lettre des mesures aussi draconiennes. Pour leur défense, il faut admettre que se laver les mains après avoir pissé, et tousser dans la manche de son pull-over plutôt que dans le visage de son prochain, sont des réflexes qui eussent nécessité une maîtrise de soi digne des plus grands sages bouddhistes (petit rappel ici pour les distraits).
Le sort en était jeté : l’humanité était vouée à disparaître. Les survivants furent réduits en esclavage par les fourmis, qui les attaquèrent lâchement à l’heure de la sieste. D’après certaines légendes rurales, quelques individus vivraient encore quelque part au fond d’un bois, dans une vallée abandonnée, mais ce ne sont sans doute là que fables pour gorillons.
Pour gorillons ?
Eh oui. Car comme le dit l’adage : « à quelque chose, malheur est bon ». Enfin débarrassés de leurs cousins dégénérés, les primates prirent le dessus. Certes pas les bonobos, trop occupés qu’ils étaient à prendre leurs gonades pour des sorbets citrons. Ni les chimpanzés d’ailleurs, qui renoncèrent à contester le pouvoir absolu laissé ainsi vacant, en échange d’un coussin-péteur et d’une triple ration de bananes. Mais les gorilles et les orang-outans, ces puissants rois des savanes et des forêts, ne se firent pas prier ! Ils se disputèrent – à l’amiable, à travers un dialogue constructif, parce qu’ils n’étaient pas des humains – le trône mondial, à coups de solides campagnes marketing dénoncant les dérives inacceptables du règne des homo sapiens, et c’est ainsi que la planète Terre entra dans l’ère du misanthropocène.
Des élections eurent lieu parmi les populations simiesques, afin d’élire le premier primat primate. Contre toutes attentes, c’est un orang-dégoûtant qui remporta les suffrages. Son discours résolument conservateur et populiste parvint à flatter les tympang-outans de ses électeurs. A coups de simplismes, il su convaincre et rassembler autour de thèmes porteurs, en prônant la surexploitation des richesses naturelles à portée de mains, à commencer par l’huile de palme et la noix de coco. Pourtant jusque là farouches opposants à la déforestation de leur plaine de jeux, les orang-outans se rangèrent en masse à l’avis de leur champion : l’agro-industrie n’était pas une menace mais bien une oppportunité unique. Chaque orang-outan aurait ainsi sa chance, à condition de travailler aussi dur que ses cousins bonobos, de devenir riche, et de s’acheter une résidence secondaire à Makassar-des-Célèbes.
Les gorilles, conscients du danger qui guettait si l’on s’engageait plus avant dans cette voie mortifère jadis tracée par ces idiots d’homo sapiens – dont la triste fin devait pourtant constituer un avertissement clair pour tous les simiiformes – protestèrent vivement contre cette vision tronquée prônée par le président orange-outan, qui semblait de plus en plus con-vaincu que le réel se plierait à sa volonté, à la condition qu’il croie suffisamment fort à ses propres fadaises. Comme on dit chez les gorilles, en paraphrasant un écrivain humain apologiste du règne animal : « le macaque est de glace aux vérités, mais il est de feu pour les mensonges ».
Lorsque le premier mandat du primat toucha à sa fin, les gorilles décidèrent de se mobiliser : ces abrutis d’orang-outans ne voleraient pas une seconde fois les élections. Mais ces gorilles, qui n’avaient pas pour eux l’avantage du nombre, durent vite se faire une raison : la démocratie n’est jamais que la dictature de la majorité. Et la majorité était composée de primates ayant assez vite tendance à prendre leurs testicules pour des Cornetto. Il allait falloir trouver le moyen d’ouvrir les yeux à un nombre considérable de ces primates primaires pour remporter le primorat suprème. Et pour cela, le parti gorille décida d’organiser des primaires, afin de désigner un candidat unique à opposer au primat inique. Logique.
Ne pouvant pas compter sur les électeurs bonobos – pour qui des élections sans « r » n’avaient définitivement pas la même saveur – c’est vers l’électorat chimpanzé que se tournèrent les candides candidats gorilles. Mais hélas, il n’y avait pas que chez les regrettés homo sapiens que les oiseaux de mauvais augure étaient mal accueillis. Partout dans le règne animal, le discours alarmiste des candidats gorilles, annonçant à cor et à cri la fin du monde si l’on ne revenait pas hic et nunc aux fondamentaux de la vie simiesque, fut bientôt vilipendé par les macaques, qui découvraient enfin la vie sans ces vilains humains envahissants. Ces électeurs n’entendaient guère qu’on les empêchât de jouir à leur tour de toutes les ressources nouvellement mises à leur disposition, à présent que ces crétins de sapiens étaient hors d’état de nuire.
Redistribution équitable des bananes, réduction de l’utilisation de l’huile de palme, reforestation… toutes ces propositions courageuses furent balayées du revers de la main – ce qui n’était guère compliqué pour un électorat quadrumane qui n’en manquait pas ! Tandis que les candidats gorilles se disputaient le discutable privilège d’être choisi par leur parti pour affronter le primat, ce dernier sifflotait tout haut ses idées mesquines et bas-de-plafond à qui voulait les entendre. Ses fans saluaient son esprit désinvolte et sa faconde, tandis que de leur côté, les bonobos continuaient à prendre leurs burnes pour des friskos. Bref, le monde semblait n’être qu’un éternel recommencement, donnant raison à un autre sapiens apprécié du règne animal pour avoir jadis pris des positions avant-gardistes en faveur du véganisme. Une leçon superbement ignorée alors par ses con(s)temporains.
Dans cette tourmente, et alors que plus rien ne semblait pouvoir contrarier les desseins du primat et de ses amis de l’OPEHP (la célèbre Organisation des Primates Exportateurs d’Huile de Palme, tout-puissant lobby ayant étendu sa domination en caressant les orang-outans dans le sens du poil à grands coups de mesures clientélistes), apparut enfin, comme sorti de nulle part, un candidat gorille au discours rassembleur. Audacieux dans ses prises de position, ce jeune candidat s’avérait progressiste sur les importantes questions de société qui divisaient alors l’animalité, telles que l’ouverture des frontières aux migrants climatiques (pingouins et manchots – qui étaient, comme on peut facilement l’imaginer, la risée du monde quadrumane -, mais aussi ours polaires et autre kangourous fuyant des zones en danger suite aux prouesses de ces andouilles de sapiens).
Déclarant son ouverture envers le peuple bonobo, son discours fut pris un peu trop littéralement par ces derniers durant sa campagne, ce qui par chance lui valut un vote de confiance massif, et sa victoire sans concession fut enfin la promesse d’une politique plus raisonnable et raisonnée que celle de son prédécesseur.
Un vilain virus tenta bien un jour une incursion, mais sous l’égide de leur nouveau leader, dont la sagesse n’avait pas attendu le nombre des années, les primates avaient appris à se laver les pognes avant de passer à table ou de serrer la louche de leurs collègues de bureau. La recherche sur les armes bactériologiques ayant quant à elle été interdite, ainsi que la consommation de viande de chacal, la maladie ne fut bientôt qu’un lointain souvenir.
Prenant la contre-main de leurs lointains cousins disparus, les singes régnèrent alors sagement sur la Planète bleue, vivant à présent en harmonie avec tous leurs cousins mammifères, dans un monde en paix, où même les bonobos ont la banane.
Fin
A la semaine prochaine pour un nouveau conte édifiant à raconter le soir à vos enfants,
Kikh
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