La vie, c’est comme écoper l’eau d’une barque trouée. Cessez de vous débattre, et vous vous noierez. Débattez-vous… et vous vous noierez aussi, mais plus tard. Et dans ce combat pour la survie, certains naissent avec un seau percé, d’autres héritent d’une magnifique pompe d’évacuation. Nul ne sait pourquoi.
Heureusement, à l’injustice du hasard de la naissance suit celle tout aussi criante des aléas de l’existence. Ainsi, l’homme qui a hérité du seau troué peut-il très bien découvrir que son index a juste la bonne taille pour en colmater le trou, et écoper son embarcation en même temps. Tandis que celui qui regarde sa pompe d’évacuation travailler pour lui pendant qu’il se prélasse au soleil peut tout à fait s’étouffer avec sa cuillère d’argent (mais en même temps, il faut admettre que c’est quand même un peu dangereux au départ d’enfoncer des couverts dans la glotte d’un enfant…!).
Ainsi l’existence est-elle sans doute une question d’équilibre entre les choses telles qu’elles sont, et les choses telles qu’elles devraient être. Lorsque ces deux phénomènes se rapprochent, on appelle cela chance. Lorsqu’ils s’éloignent l’un de l’autre, on appelle cela malchance. Peut-être le bonheur, et en tous cas la sagesse, consistent-ils à réaliser que ces deux évènements sont parfaitement identiques.
Rappelons-nous toujours que l’univers est bien trop occupé à être un gigantesque foutoir, pour vouloir s’en prendre à quelqu’un en particulier. A ce titre, la situation actuelle constitue une assez belle illustration des mots du poète Rainer Maria Rilke : « Car au fond, et pour les choses les plus profondes et les plus importantes, nous sommes inqualifiablement seuls ». Mais du coup, que faire ?
Dans son fameux essai « Le Mythe de Sisyphe », Albert Camus nous suggérait qu’il fallait imaginer heureux l’infortuné titan, puni par Zeus pour avoir donné le secret du feu aux hommes. Heureux, Sisyphe ? Eh oui ! Car même dans son châtiment éternel, ce dernier avait bien, malgré tout, quelque raison de se réjouir !
D’abord, en étant condamné par Zeus à pousser inlassablement ce rocher sur sa colline, n’oublions jamais que notre ami Sisyphe a reçu l’opportunité unique de faire de l’exercice en plein air, ce qui est excellent pour la santé ! Zeus aurait pu être nettement plus cruel, par exemple en contraignant sa victime à tenter d’accéder à Bruxelles tous les matins via la E19 et l’échangeur de Grand-Bigard !
Ensuite, et toujours selon Albert, nous pouvons imaginer qu’à chaque fois que son rocher atteint le sommet de la colline, sans doute Sisyphe ressent-il un instant d’allègre excitation lorsque, en équilibre précaire, ce satané caillou touche au but… Cet instant de satisfaction volé au destin, juste avant que son fardeau ne re-dévale la montagne, doit être une petite fraction de temps jubilatoire qui mérite d’être vécue.
A l’instar de Sisyphe, tandis que nous tentons d’écoper notre barque, nous ne devrions jamais oublier, de temps à autre, d’observer le lac où vogue notre frèle esquif. La vue est souvent plus belle qu’on se l’imagine, et ces rares moments d’admiration béate sont autant de fractions de temps jouissives dont nous ne pouvons nous permettre de faire l’économie. En particulier en ces moments de confinement morose.
Parce que vous commencez à me connaître suffisamment pour savoir que, parmi mes nombreux défauts, la cruauté n’a pas sa place, je vous offre ici, et sans frais de porc (désolé : le jambon et le lard sont des denrées trop précieuses en ce moment !) mon top 5 des satisfactions de l’existence que ce confinement ne pourra jamais nous voler. N’en déplaise à tous ces fâcheux qui se sentent obligés d’inonder les réseaux soucieux de messages plus catastrophistes les uns que les autres.
- Lockdown ou pas lockdown : surtout à la condition que vous en ayez encore en réserve, personne ne pourra jamais vous priver de ce bref moment d’orgueil lorsque vous terminez le tube de dentifrice. Personne !
- Et si vous n’en aviez plus en réserve, et que vous voici contraint d’aller risquer votre peau dans un supermarché, vous pouvez toujours en profiter pour montrer vos nerfs d’acier en mettant sciemment dans votre caddie le plus petit paquet de rouleaux de PQ disponible. Cet acte d’héroïsme vous vaudra à coup sûr des regards admiratifs que vous pourrez raconter (sur Skype) à vos petits-enfants !
- Par la faute de ces satanées nouvelles technologies, ce confinement nous vaut à présent des floppées de conference call et autres réunions virtuelles toutes plus rébarbatives les unes que les autres. Mais elles apportent aussi une bonne nouvelle ! Ainsi, vous pouvez allègrement profiter de la qualité incertaine des micros des PC pour glisser des jeux de mots douteux partout où vous passez. Par exemple, vous pourrez ENFIN rabrouer ce collègue egocentrique (que d’habitude j’écris en trois mots, mais j’ai peur de vous perdre si je le fais ici) en lui demandant de cesser immédiatement son petit je. Ou bien encore, si par chance des données chiffrées entrent dans la conversation, profitez-en pour rajouter discrètement un « r » bien placé au mot « mathématiques ». Allez-y ; je vous laisse un peu de temps pour la comprendre…
- (Voici comme promis un peu de temps pour la comprendre ; faites-moi signe quand c’est bon…) A la bonne heure ! Maintenant que je sais que, grâce à moi, vous ne regarderez plus jamais un prof’ de math’ de la même façon, je peux profiter égoïstement de mon numéro 4. Merci à tous !
- Enfin, si vous habitez en appartement, il devrait être possible de vous venger de l’abruti du dessous, pour toutes les fois où il a écouté un peu trop fort son disque de Johnny au Stade de France. Maintenant que cet ahuri est obligé de respecter une distance sanitaire de deux mètres, attendez la nuit venue pour déplacer ce superbe meuble liégeois, qui serait tellement mieux dans la pièce d’à côté.
Si aucun de ces petits plaisirs innocents ne parvenait à vous faire oublier, pour un instant de joie fugace, la peur du Covid-19, pas de panique ! Il vous reste une solution : chopez-le vite fait bien fait, tant qu’il reste des lits d’hôpital et quelques respirateurs artificiels en rab !
Rien n’est plus facile : il vous suffit de choisir dans la liste (non-exhaustive) des demi bonnes idées, entre « lécher les barres d’un bus De Lijn », « s’asseoir cul-nu sur les escaliers de la Bourse », « braver le lockdown en fréquentant un débile de boisson », « pratiquer le polyamour » (pour les novices : c’est quand vous trompez votre conjointe en lui faisant croire que l’idée vient d’elle ; à ne pas confondre avec le poliamour, qui consiste simplement à avoir la courtoisie élémentaire d’entrer sans frapper) ou, si vous êtes enseignant dans le subsidié : « faire venir un frotteur au tableau ».
Si rien de tout ça ne fonctionne, il restera toujours le cynisme. Avez-vous déjà pensé à acheter en viager ?
A la semaine prochaine pour d’autres conseils utiles pendant ce lockdown, et d’ici là, n’oubliez pas entre deux seaux d’eau d’admirer le paysage !
Bon confinement,
Kikh
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