Le Santémentaliste (S20E21)

Ou Le Retour de Nostradakikh

Ouverture

Dans son célèbre Marabout-Flash dédié aux joies du camping et des cabanes en forêt, Henry David Thoreau (1817-1862) avait écrit « combien il est vain de s’asseoir pour écrire quand on ne s’est pas levé pour vivre ». C’était évidemment un peu facile à dire : de son temps, en Amérique, les intellectuels blancs (retour vers nos aventures américaines ici pour ceux qui étaient absents) n’étaient pas tenus en téléservage, claquemurés à la maison, et nul couvre-fieu n’interdisait les balades en forêt (je sais, il y a un i en plus – et n’insistez pas : je vous dis que je fais très attention !).

Certes, oser sortir de chez soi à l’époque tenait de la témérité : une écharde mal soignée pouvait s’avérer fatale, et AstraZeneca n’en était qu’aux balbutiements de sa recherche d’un remède contre le fléau mortel du rhume des foins.

Néanmoins, il y a fort à parier que, même dans ses rêves les plus fous, Thoreau n’avait pas imaginé que l’humanité toute entière s’exercerait un jour à cette vie érémitique à laquelle il nous encourageait dans son célèbre essai « Je pars aux champis, gardez-moi du dessert ».

Et pourtant : à l’instar de Nostradakikh votre serviteur, ses prédictions se sont avérées exactes sur toute la ligne. Cela fera bientôt un an que, comme il nous y invitait, nous sommes tous à l’isolement, terrés dans nos chaumières, reclus tels les premiers Chrétiens martyrisés sous Dioclétien.

Que serait l’existence, sans nos sympathiques petites querelles de bureau… Je vous le demande !?

Bientôt un an que, tout comme eux, nous nous demandons quand va finir ce cirque ! Et sur ce véritable chemin de croix, la nouvelle souche mutante lâchée dans l’arène par la Perfide Albion (who else?!) pourrait bien être le clou du spectacle ! Seule bonne nouvelle : nos voisins d’Outre-Manche travaillent d’arrache-pied à la reconstruction du Mur d’Hadrien. Au boulot les gars !

En attendant, toujours comme les premiers Chrétiens, nous cherchons le salut de nos âmes dans un élixir mystérieux – attendu comme le Messie, mais brassé par Pfizer, et servi à température de la pièce par votre nouveau contact avec l’au-delà, le guérisseur de votre âme, j’ai nommé : votre physiologue (à noter qu’en sus d’être confinés, nous sommes tous devenus des junkies impatients de recevoir leur fix… quand je vous dis qu’on aura bu le calice jusqu’à la lie !).

Les Persécutions

Du coup, si vous aussi, pour passer le temps, vous usez vos yeux sur LinkedIn et prêtez votre oreille valide à quelques webinars, ça ne vous aura pas échappé. A l’instar des premiers Chrétiens dans la Rome antique, l’ennemi cherche à nous débusquer, pour nous jeter dans la fosse aux lions !!

Pour parvenir à leurs fins, depuis plusieurs mois déjà, les spécialistes ès ressources humaines et autres coachs auto-certifiés, ces suppôts du Malin, s’en prennent à notre santé mentale, qu’ils accusent – sans aucune preuve tangible – de flancher.

Et ces ahuris d’affirmer haut et fort qu’après plusieurs mois, « le télétravail démontre ses limites », que « la disparition des discussions informelles autour de la machine à café tue la créativité, et met en péril l’avenir de l’entreprise », ou encore que « certains télétravailleurs doivent être en train de souffrir en silence, et rien ne garantit que nous les récupérerons en bon état à la libération, si la situation ne change pas rapidement ».

Votre collègue est si heureux de vous retrouver après ces mois d’absence… Ca fait plaisir à voir !!

Ce ne sont bien sûr que de lâches excuses ; des subterfuges destinés à vous enfumer pour vous faire sortir de votre terrier douillet, comme on chasserait le furet ou la civette du djébel (ne cherchez pas, je suis à peu près certain qu’il n’existe aucune civette du djébel ; je trouvais juste que ça sonnait bien).

Ces charlatans, ces menteurs patentés, ces gâche-siestes – en gros, votre supérieur hiérarchique (il faut dire qu’il devrait faire un peu attention à sa ligne !) et ses sbires – tentent simplement de justifier l’injustifiable, en prévision du jour où les séides du Roy les autoriseront à vous faire revenir au bureau. Mais la ruse est grossière, et nous ne sommes pas naïfs !

Repos de l’âme

Heureusement, votre fidèle et dévoué Nostradakikh a encore une fois flairé le danger, et lu dans l’avenir la machination, cousue de fil blanc, qui se trame dans les arcanes du pouvoir. D’ailleurs, le procédé est grossier ; bien sûr que non, votre santé mentale n’est pas en jeu à cause de ces quelques mois passés emmurés ; comme si une malheureuse année en isolement avait jamais perturbé qui que ce soit !?

Et d’ailleurs, pour les Saint Thomas de service, sachez qu’il existe des indicateurs hyper fiables, et incroyablement simples, pour déterminer si un individu est menacé de neurasthénie.

Ainsi, si vous continuez à changer de sous-vêtements tous les matins et à vous brosser les ratounes, la science est formelle : cette démonstration d’amour-propre prouve sans conteste que vous allez très bien. Et pour les célibataires, si au bout de 10 mois de confinement vous continuez à mettre du déo sous vos aisselles, vous pouvez même envisager une reconversion professionnelle, et proposer des master class aux aspirants navigateurs tentés par le Vendée Globe.

Et vous voudriez retourner au bureau ? Folie !!

Bien sûr, il demeure possible que quelques-uns parmi nous soient tout de même légèrement atteints. C’est statistiquement inévitable. Mais là aussi, les signaux avant-coureurs sont aisément identifiables. Si vous avez un quotient intellectuel situé au-dessus de 90, et que malgré cela vous passez votre temps libre à lire les commentaires sous les articles de presse de la Dernière Heure ou de Sud Presse, il est grand temps de sortir prendre un bon bol d’air frais. Comme le disait Saint Augustin : Errare humanum est, perseverare diabolicum.

Et si vous y avez carrément laissé un commentaire pour dénoncer, sur base d’aucun élément probant, le comportement des vététistes ardennais, pas d’inquiétude : il vous reste une solution. Elle est certes radicale, mais parfois, nécessité fait loi : votre employeur, si vous demandez très gentiment, vous fera peut-être une attestation pour que vous puissiez refaire un saut au bureau ?? Faites-moi confiance : ça vaudra mieux pour tout le monde.

Pendant ce temps-là, vous je ne sais pas, mais moi, je compte bien rester fidèle à Saint Augustin. Comme il le disait si bien : « Le bonheur, c’est continuer à désirer ce que l’on possède ». J’y suis, j’y reste !

Ite missa est

Par contre, si nous n’avons aucune raison de nous inquiéter pour la santé mentale des travailleurs en homeworking prolongé, je me dois de vous alerter. Un autre péril, bien réel celui-là, nous guette.

Je vois que demain, nous sommes le 31 décembre. Et je vous connais : chaque année à la même date, lorsque sonne minuit crétin, à mi-chemin entre le réflexe conditionné et le trouble obsessionnel compulsif, vous ne pouvez pas résister.

Sitôt que votre smartphone indique 00h01, vous vous empressez d’envoyer vos bons voeux urbi et orbi. Et là, je me dois de vous rappeler, tant qu’il est encore temps, que vous avez été très nombreux il y a pile un an à souhaiter à tout votre entourage une bonne année et une bonne santé… Avec le résultat que l’on sait !

Du coup, je vous le demande : est-ce bien raisonnable de vouloir à nouveau tenter le destin cette année ? Mmh ?

Sur ce, je vous laisse méditer, et vous retrouverai avec joie en 2021, pour d’autres prédictions spectaculaires. Et d’ici là, je vous souhaite de tout coeur une année tout à fait banale, et comme le disait Souchon : full santé mentale !

Kikh

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