Hypocondrie congénitale

Dingo

Tandis que je perdais mon après-midi, pour un contrôle de routine, à montrer à ma dermatologue préférée mon torse instagrammable, ma jambe bionique et mon bronzage quasi-intégral, m’est revenu en mémoire un passage inoubliable du film « Everybody says I love you », où Woody Allen en sortant lui aussi d’une consultation où il recevait les résultats d’un scanner, affirmait que les trois plus beaux mots que l’on puisse dire à un homme ne sont pas « I love you », mais « It’s benign » !

Après avoir dû expliquer mon éclat de rire à l’éminente practicienne, qui n’a manifestement pas l’habitude que ses patients s’esclaffent tout seuls tandis qu’elle leur observe le cuir à la loupe (en même temps, elle n’aurait qu’à palper aux endroits qui chatouillent, c’est quand même pas si compliqué…!), nous avons eu elle et moi un intéressant – quoique fort bref – échange sur l’hypocondrie mâle congénitale, aussi appelée dans les milieux médicaux « tendance naturelle des hommes à faire leurs chochottes dès qu’ils sont enrhumés ».

Dingo
37,4° au compteur… sauve qui peut !

Fort peu désireux de m’aventurer sur ce terrain miné avec ma physiologue, et surtout, soucieux de ne pas la déconcentrer tandis qu’elle observait mon épiderme – dont les nombreuses cicatrices, qui ne sont pas sans rappeler un parchemin antique, racontent probablement ma brève existence mieux que ne le ferait une autobiographie, que je me trouve donc heureusement dispensé de jamais rédiger ! – j’ai décidé de couper court au débat en lui racontant la dernière blague désopilante de Jean-Marie Bigard, et nous en sommes restés là*. En règle générale, je déteste disserter avec les membres du corps médical lorsqu’ils se penchent sur mon anatomie ; c’est un peu comme de raconter sa vie à un avocat qui vous facture ses honoraires à l’heure prestée : on apprécie à sa juste valeur l’oreille attentive qu’ils nous prêtent louent, mais on n’est pas opposé non plus à ce que le séance reste brève et to the point.

Cependant, l’honnêteté intellectuelle que vous me connaissez, associée à un léger excès de temps libre pour cause de vacances, m’ont obligé depuis lors à appronfondir cet épineux sujet. Les homo sapiens mâles sont-ils vraiment hypocrondriaques, ou bien s’agit-il d’une revanche du grand complot féminin, destinée à égratigner la puissance et la domination masculines encore trop présentes dans notre société dite « moderne » ?

Commençons par les faits si vous le voulez bien (ou allez vous faire réchauffer un aliment ovoïde au contenu jaune et blanc visqueux). Certes, il est établi depuis l’antiquité à peu près que les individus mâles ont, de père en fils, une fâcheuse tendance à associer état grippal et fin de vie précoce. De même, toute douleur thoracique ou viscérale, si elle n’est pas le fruit d’une rencontre fortuite avec un objet contondant, fera immédiatement songer à une forme aggressive de tumeur maligne, elle aussi synonyme de clap de fin anticipé. Soit.

D’un autre côté, il est important, pour la justesse du présent propos, de rappeler la définition exacte de l’hypocondrie : un « syndrome caractérisé par une inquiétude excessive d’être atteint d’une maladie grave pourtant non diagnostiquée ». Cette définition pose bien sûr deux problèmes. D’abord, le concept d’une maladie « non dianostiquée » est hélas fort vague : toute maladie, réelle ou supposée, reste non dianostiquée tant qu’un porteur de stéthoscope n’a pas eu l’occasion de se pencher sur le problème… Et nous savons que la majorité des homo sapiens mâles a tendance à croire sur parole son généraliste, même lorsqu’il leur raconte de parfaites billevesées – des âneries du genre « mais non, la grippe ne s’attrape pas par les pieds » (bien tiens !), « voyons cher Monsieur, le virus Ebola n’a encore jamais été diagnostiqué en Europe, votre nez qui coule a certainement une autre cause » (facile à dire, le bougre ; ce charlatan n’est pas épidémiologiste que je sache !), j’en passe, et des meilleures.

Le deuxième problème est relatif à l’adjectif utilisé dans la définition de l’hypocondrie : excessive. Qu’est-ce donc qu’une inquiétude « excessive » ? Quel gredin, quel matamore aura l’audace d’affirmer qu’il connaît la frontière exacte et précise entre un souci légitime de passer l’hiver, et une inquiétude « excessive » à la vue de ce traître de thermomètre qui ose indiquer un chiffre situé plusieurs décimales au-delà des 36,9° autorisés ?

A bien y réfléchir, est-il d’ailleurs seulement possible pour un individu de s’intéresser de façon « excessive » à sa santé physique, attendu que sans cette précieuse alliée, c’est toute la tribu qui risque la famine et la disparition à brève échéance ? A moins bien sûr que sa femme ne parte chasser à sa place, pendant qu’il soigne au fond de son lit cette mauvaise toux. C’est radical, mais ça pourrait marcher…

Tout ceci étant dit, c’est bien beau, mais je vais aller me gaver de thé de thym avec du miel, histoire de soigner ce grave début de sinusite qui ne me dit rien de bon !

A la semaine prochaine, si cette épouvantable affection n’a pas raison de moi d’ici là !

Kika

*Rien n’écourte plus radicalement tout débat que l’humour de cet histrion. C’est un truc que je vous offre, et que je vous invite à retenir, si d’aventure vous deviez jamais vous dépêtrer d’une discussion fâcheuse. Si vous n’avez plus de Jean-Marie Bigard à disposition, n’importe quel bout de sketch de Kev Adams peut éventuellement faire l’affaire. C’est évidemment moins fin et subtil que du Bigard, mais ça provoque le même air embarrassé chez votre interlocuteur/trice. De rien, je vous en prie.

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