La pelle du 14 février
Cette année, et de façon encore plus flagrante que jamais, les appels se succèdent pour encourager les honnêtes gens à se ruiner ce weekend pour renflouer les caisses de leur stamp-café frappé de plein fouet par la crise.
L’importance de ces lieux de restauration dans notre société moderne est devenue presque aussi surévaluée que celle des salons de coiffure – dont la fermeture depuis bientôt un an nous dispense ENFIN de la vue de toutes ces coupes de cheveux « sortie de prison » et autre « footballeur professionnel » à l’esthétique plus que douteuse.
Ces exploitants du cheveu ne peuvent bien sûr s’en prendre qu’à eux-mêmes : leurs excentricités capillaires, associées à leurs conversations à mi-chemin entre l’astrologie compulsive et la météorologie hasardeuse expliquent le peu de considération qui leur est témoignée depuis le début de la crise. Admettez que cette pandémie n’a pas que des mauvais côtés !
Mais ces capilliculteurs ne sont pas les seuls à s’enrichir sur le dos de notre flemmardise ; les restaurateurs, ces leprechauns de service, nous vendent eux-aussi à prix prohibitif un service que nous pouvons tout aussi bien réaliser nous-mêmes.
A part pour le plaisir de payer du vin six fois son prix, et de ne pas faire la vaisselle (mais en même temps, pourquoi avez-vous fait tous ces mioches si c’est quand même VOUS qui devez vous farcir cette tâche subalterne ?!), je ne vois toujours pas où se trouve le plaisir à fréquenter leurs officines surcotées.
Horecataclysme
Parce que je vous connais, je sais que certains parmi vous argueront qu’au vu de l’état dans lequel se trouve le secteur HORECA, le moment est mal choisi pour faire cette édifiante démonstration : on ne frappe pas un homme à terre, paraît-il. C’est évidemment une ânerie : surtout si votre adversaire est puissant, c’est précisément lorsqu’il est au sol qu’il faut porter l’estocade !
Car sous ses airs sympathiques et chaleureux, l’ennemi est redoutable et sans vergogne, ne nous y trompons pas !! A l’instar du lobby des fabricants de rasoirs électriques, qui est parvenu en un rien de temps à nous imposer sa célèbre fête des pères (ah, ces merveilleux colliers de nouilles, et ces poèmes de Jean-Michel Pentecôte déclamés au saut du lit par votre petit chérubin… !), le lobby des restaurateurs et des gens du trop-manger a lui aussi réussi, en quelques décennies seulement, un véritable brainwashing !
Et tout cela avec un mauvais goût et une cruauté barbare qu’il est temps de dénoncer publiquement ! Célibataire ou en couple, nous sommes tous les victimes de cette création méphistophélique du lobby de la nutrition en salle nommée « Saint-Valentin ». Et je le prouve !
Sur le grill
Déjà, pour les célibataires, inutile de chercher bien loin : merci pour ce rappel. Vraiment. Et je ne vous raconte pas la détresse des celles et ceux en vaine recherche de l’âme soeur, dans un marché de l’amour en permanente rétractation, et qui avaient définitivement besoin qu’on leur mette l’équivalent d’une minuterie de bombe à retardement sous les yeux. Enfoirés de gargotiers !
Pour les autres, faisons le tour d’horizon des scénarios possibles.
Commençons par les couples heureux. Si si, il paraît qu’il y en a ; ne soyez pas mauvais joueur ! Ceux-ci se trouvent face à un choix cornélien. Doivent-ils se jeter dans les bras de cette fête commerciale, et pleurer auprès d’un artisan du manger pour obtenir une table libre le jour J, au risque de paraître atrocement conventionnels ?
Ou vaut-il mieux faire preuve d’un esprit hautement disruptif, à la limite de l’anarchie, en décidant de fêter la Saint-Valentin avec 24 heures d’avance ?! Dans les deux cas : « Tout est perdu, fors l’honneur ! » Saletés d’aubergistes !
Pour le couple dissonant, ce choix ne se pose même pas. L’approche anarchiste risquant de mettre en péril ce qu’il reste d’affection et de respect mutuels, le 14 février doit se dérouler en grandes pompes, point à la ligne. Un malheur ne venant jamais seul, ces deux pauvres hères se retrouvent, en sus, victimes du grand complot du chocolat, et de la puissante guilde des fleuristes. Qui avait dit « on ne frappe pas un individu à terre » ? Mmh ? Sûrement pas ces ordures de traiteurs fins !
Pour tous ces couples en berne, quel esprit retors, quel sociopathe, a bien pu imaginer qu’une « fête des amoureux » pourrait constituer autre chose qu’une torture en bonne et due forme ?! La Traviata interprétée par l’orchestre philharmonique du Titanic en personne… Fumiers de chefs étoilés !!
Et au dessert: une île flottante
Enfin, même pour le jeune couple qui démarre, plein d’espoir dans les yeux, ou pour les inconscients qui choisissent cette date fatidique pour un premier rendez-vous galant, les industrieux de la sustentation possèdent un ultime tour dans leur gibecière !
Supposons que nos tourtereaux aient trouvé des choses intéressantes à se raconter pendant ces deux longues heures coincés ensemble en fesse-à-face à la lueur des bougies vacillantes. C’est une supposition assez audacieuse, certes, mais il paraîtrait que certains tiennent même trois heures sans s’ennuyer, selon les dires de ma conseillère conjugale – dont j’aurais d’ailleurs dû me débarrasser depuis longtemps, au vu de ses résultats accablants, mais j’ai vérifié : impossible de désinstaller Siri de ce fichu IPhone.
Bref ; ces jeunes inconscients pourraient bien se croire hors de danger… Erreur ! Avant qu’ils ne puissent crier victoire, le complot des taverniers leur offre le clou du spectacle.
Qui n’a jamais connu ce moment effrayant où, par pur sadisme, un loufiat en costume-cravate s’approche subrepticement avec le récapitulatif des graisses saturées ingérées par ses victimes ?! Ah, cet instant de profonde gêne où elle fait semblant de vouloir payer. Où vous faites semblant de vouloir absolument l’en empêcher. Alors que nous savons tous qu’aucun de vous n’a envie d’écorner ainsi son patrimoine !
Si ça se trouve, le paiement se ferait-il seulement sur base volontaire que vous seriez déjà partis sans demander vos restes (oui : le doggy bag, ça fait vraiment rapiat !)…
Non, vraiment, ces restaurateurs sont des gens vénaux et sans pitié. S’ils ont choisi de faire de Cupidon leur fonds de commerce, ce n’est pas pour la dernière syllabe de son nom ; ne soyez pas dupes !
Recipe for disaster
Du coup, en ce 14 février, et comme chaque année depuis 37 ans, le Kikh n’aura pas de pitié en retour pour ces briseurs de ménages, et ne fera honneur qu’à sa propre tambouille. Et bonne nouvelle : cette fois-ci, vous pouvez tous faire de même, sans le moindre scrupule ! Quand je vous dis que cette pandémie a du bon.
Et puis, comme c’est la fête des amoureux, au moment de faire la vaisselle, pourquoi ne pas vous montrer un peu chevaleresque ? Comme vous le faites tous les 8 mars, pour la journée des droits des femmes, n’hésitez pas à gagner des points auprès de votre dulcinée : « Laisse chérie… tu la feras demain ! ».
Bon weekend, de Saint ou de Sans Valentin(e), et à la semaine prochaine pour de nouveaux conseils judicieux pour raviver la flemme !
Kikh
P.S.: Si à l’instar de Papa et Maman Kikh, vous fêtez vous aussi ce weekend vos 46 ans de mariage, veuillez considérer mes suggestions révolutionnaires comme nulles et non avenues, et faites-vous plaiz’ auprès de votre service traiteur préféré. L’addition est pour moi ; si si, j’insiste !