Je vous ai précédemment dit tout le bien que je pensais de LinkedIn, et de la façon dont cet horrible lieu virtuel nous poussait en permanence à faire de la performance au bureau une obsession malsaine.
Dans la liste des tendances déplorables sur nos lieux de travail, il en est une autre, détestable à plus d’un titre : le recours de plus en plus systématique à la réunion. Réunion de travail, workshop, brainstorming, meeting… autant d’occasions de vous donner envie de périr écrasé dans un Choco-Prince ! Et si la rencontre est égayée d’une présentation PowerPoint, votre compte est bon !
Je passe rapidement sur le fait que ces réunions constituent bien souvent une occasion inespérée, pour quelques individus narcissiques en mal d’affection, de se sentir exister en s’écoutant parler, et en savourant chaque phrase « sujet-verbe-compliment » qu’ils parviennent à émettre, comme s’il s’agissait d’une symphonie de Mozart. Je n’insisterai pas plus sur l’opportunité qui nous y est si souvent offerte de constater l’exactitude de la Loi de Futilité de Parkinson*, bien que la chose soit fort tentante.
Plus grave que tout cela, la réunionite aiguë qui frappe nos bureaux porte en elle les germes d’un mal beaucoup plus grand : le concept du travail collaboratif, ou cette idée absurde selon laquelle il serait universellement plus efficace de travailler en groupe, plutôt que chacun dans son coin. Or, si cette idée n’est pas entièrement fausse, elle ne saurait non plus être portée en vertu cardinale, vraie en tous temps et en tous lieux.
Ainsi, il existe une catégorie d’individus, plus grande que vous ne le soupçonnerez peut-être, pour qui le travail ne saurait se concevoir qu’en-dehors des réunions, à l’abri des regards et du bruit : les introvertis ! Véritables victimes des temps modernes et de cette insane habitude d’organiser des réunions à tout-va, les introvertis, malgré leur nom quelque peu barbare, sont souvent de braves gens, parfois même dotés d’une âme, voire du sens de l’humour !, et dont la seule singularité est leur processus de réflexion, qui se fait a posteriori des discussions, au calme, loin de l’agitation humaine, et donc surtout pas de façon discursive.
Attention : il y a lieu de ne pas confondre ces étranges individus avec leurs cousins éloignés, les timides, qui n’osent pas exprimer leurs idées en public ! Les introvertis n’ont (généralement) pas de problème à émettre publiquement leurs opinions, mais ils ont besoin de temps seuls, et au calme, pour se les forger au préalable. Les réunions de travail et autres séances de brainstorming n’ont donc pour eux aucune utilité, si ce n’est le grand plaisir de se taire, et de passer plus souvent qu’à leur tour pour des timorés, ou des je-m’en-foutistes que le sujet du jour n’aurait pas l’heur d’intéresser.
Pour toute cette frange de la population, si souvent mal considérée – quand elle est considérée tout court – le virus de la réunionite est un calvaire, juste bon à leur donner l’envie furieuse de périr dans la disquette numéro 3/5 de l’Encyclopédie Encarta. Alors, la prochaine fois qu’une envie pressante d’organiser une réunion vous prend, réfléchissez-y à deux fois : le problème auquel vous êtes confronté ne peut-il VRAIMENT pas se résoudre sans PowerPoint, et sans organiser une nouvelle séance de thérapie collective pour narcisses en cravates ?
D’avance merci, et à la semaine prochaine,
Kika
*Si vous l’ignoriez, cette loi stipule que ce sont toujours les sujets les plus triviaux qui font l’objet des plus intenses débats, en vertu du fait que les participants aux réunions n’osent l’ouvrir que quand ils sont sûrs de ne pas passer pour des idiots. Ils attendent donc les sujets les plus stupides pour justifier leur présence en émettant leurs avis à l’emporte-pièce.
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