Jamais crainte irrationnelle n’a aussi bien porté son nom que la fameuse aérodromophobie, aussi connue des experts sous le nom vernaculaire de « trouille de l’avion ». Au lieu de sottement lui donner le nom de « aviophobie », ou encore de lui réserver le sobriquet tout aussi saugrenu de « aérophobie » par exemple, la communauté scientifique, dans un (trop) rare élan de clairvoyance, a fort opportunément choisi de la baptiser aérodromophobie, histoire de bien souligner le fait que l’angoisse du voyageur qui souffre de ce syndrôme ne se limite bien sûr pas à sa présence à bord d’un appareil en vol ; bien plus largement, tous les aérodromophobes du monde (unissez-vous !) commencent en fait à sentir leurs mains devenir moites à la simple vue d’un aérogare.
Car l’entièreté du rituel, à commencer par l’impossibilité de trouver un endroit où garer votre rutilante berline à moins de deux heures de marche du terminal, jusqu’au fait de devoir vous mettre à moitié nu devant des agents de sécurité à la mine patibulaire au milieu d’une foule de gens qu’on n’a même pas daigné vous présenter ; depuis l’impossible recherche du bon comptoir d’enregistrement, jusqu’à l’attente – semblant toujours éternelle – de vos bagages, dont vous ignorez jusqu’au dernier moment s’ils ont bel et bien voyagé avec vous à bord de cet engin maudit (s’ils n’ont pas carrément été malmenés par des bagagistes en grève) ; oui, tout semble avoir été savamment pensé pour vous dégoûter à tout jamais de quitter le plancher des vaches !
Et pourtant, 4,3 milliards (oui, vous avez bien lu !) de passagers ont utilisé en 2018 l’un de ces satanés cercueils volants que l’on nomme communément « avion ». Et votre serviteur fait partie du nombre – souvenir qui n’est d’ailleurs pas sans lui donner une envie furieuse de mourir déshydraté dans une Renault Twingo abandonnée au soleil en pleine canicule. Le supplice eut lieu de Charleroi (élégante cité minière, joyau de la Belgique qui gagne) à Edimbourg (prononcez « idinn-breuh » pour faire plus smart), à bord d’un objet volant mal identifié (sans doute un Tupolev ou un Iliouchine, au vu du vacarme à bord de l’inhabitacle mal insonorisé et des ratés manifestes du moteur), propriété de l’entreprise l’association de malfaiteurs RyanAir, que nous ne pourrons jamais assez remercier d’avoir à tel point popularisé le voyage en boîte de conserves.
Heureusement, le trajet du retour – histoire authentique – fut annulé à même le tarmac de la capitale écossaise que nous quittions, mes fidèles compagnons d’équipée et moi-même, à grands regrets. Encaqués tels des sardines dans ce qui devait être cette fois un Antonov ou un Yakovlev – à en juger par le nombre ridicule de centimètres laissés libres pour poser nos orteils, c’est-à-dire directement dans les oreilles du passager assis devant nous – après avoir passé trois quart d’heures en file indienne tels des bovins destinés à l’abattoir, et après plus d’une heure d’attente consécutive à l’embarquement, nous sûmes immédiatement que l’apparition au micro du capitaine en personne ne pouvait être qu’une excellente nouvelle. Lorsqu’il eut fini de nous annoncer que notre périple avait été, hic et nunc, et sans autre forme de procès, rayé des tablettes de vol, dans le tumulte qui montait, un léger cri d’enthousiasme, isolé mais nettement distinct, s’échappa paraît-il d’on ne sait où (vraiment aucune idée, je me demande encore qui aurait pu se réjouir d’une telle annonce…).
Sains et saufs, nous pûmes alors profiter d’une nuit de vacances supplémentaires, aux frais de la princesse (c’est le petit surnom que nous avions donné à son insu à l’un des membres de notre quatuor, un individu capricieux à qui nous n’avons toujours pas remboursé les frais d’hôtel), et rentrer tranquillement au bercail par le truchement du réseau ferroviaire britannique – trop injustement critiqué semble-t-il – et du consortium Eurotunnel, qui soulage depuis un quart de siècle le continent européen de son tragique isolement.
Notez bien que la douce satisfaction qui fut nôtre d’échapper ainsi à une mort certaine ne fut en rien la cause de l’aérodromophobie de l’auteur de ce blog. Celle-ci naquit bien des années plus tôt lorsque, partant inconsciemment en voyage (je crois à bord d’un Latécoère ou d’un Soukhoï, au vu de son incapacité à voler sans remuer la queue), au moment du départ, un chant d’enthousiasme émana d’un groupe d’adolescents aux coupes rasta et vêtus de sarouels, assis en tailleur derrière moi : ils saluaient un ami à eux dont c’était le premier vol ; le commandant de bord, ravi de recevoir ces encouragements, ne manqua pas de sortir du cockpit pour faire la bise à chacun de ses camarades, avant de prendre les manettes et de propulser dans les airs son nouveau jouet (ou alors était-ce en fait un Cessna ? Possible, considérant le grincement distinctif des hélices, dont je crois encore me remémorer le chant strident…).
Depuis lors, votre serviteur se méfie comme de la peste bubonique de ce moyen de transport, et ce ne sont pas les statistiques, qui soit-disant confirment sa fiabilité, qui y changeront quoi que ce soit. Même s’il est exact que le bilan de 556 morts accidentés aériens, parmi les 4,3 milliards de passagers cités plus haut, peut laisser à penser que vous êtes en sécurité dans le siège de ce Fokker de chez Aeroflot, ne nous y trompons pas : ces statistiques sont faussées ! Elles ne tiennent pas compte du nombre dramatique de passagers morts d’ennui bien avant d’avoir atteint leur destination. Et que dire de tous ces malheureux voyageurs, morts d’inanition au-dessus de la Méditerranée, parce qu’ils ne possédaient pas en petites coupures les 117 euros qui leur auraient permis d’acquérir un verre d’eau salvateur auprès du personnel de cabine de Monsieur O’Leary ?!
Non, vraiment, soyez raisonnable : où que vous alliez, il y a sûrement une autre façon de voyager. Et au fond, votre employeur peut-il VRAIMENT vous refuser ce petit congé sans solde de 6 mois, pour ce rapide séjour que vous envisagez à Bali avec votre nouvelle conquête ? Ca ne coûte rien de lui demander…
A la semaine prochaine – ou à dans 6 mois si votre patron est un chic type,
Kika
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