Détour vers le futur

Frédéric Dard, alias San-Antonio, a écrit un jour avec la justesse que nous lui connaissons que « le con ne perd jamais son temps ; il perd celui des autres ».

San-Antonio
Un conseil de fort bon aloi…

Cette affirmation, aussi péremptoire que parfaitement exacte, ne m’avait pas particulièrement empêché de tourner en rond, jusqu’à la lecture il y a quelques temps d’un autre ouvrage de référence, signé Yuval Noah Harari (surtout ne me demandez pas s’il s’agissait de son fameux Homo Erectus, de son non moins célèbre 32 suggestions pour un avenir radieux, ou bien encore de son best-seller J’ai oublié de vous dire où j’avais caché le Nesquik ; pas moyen de m’en souvenir !).

Bref, dans l’un de ses trois derniers bouquins – qui étaient tout de même largement interchangeables, vous voudrez bien l’admettre, ou irez vous faire scruter la bouille chez les Athéniens – ce brave homme nous rappelait l’un des défis majeurs pointant à l’horizon pour l’humanité : le remplacement plus que probable, et à brève déchéance*, des travailleurs de la classe moyenne par l’intelligence artificielle.

Autant le dire tout de suite, pour le cas où un crétin ségrégationniste (désolé pour le pléonasme) atterrirait par erreur sur ce blog : c’est là le seul vrai grand remplacement qui nous guette ! Bientôt, les travailleurs du secteur tertiaire, les laborieux du service contentieux, les comptables en décrochage professionnel et autres assistants administratifs, les laborantins des helpdesk et autres tâtonneurs du secteur b(r)ancaire… bref, tout ce qui a deux pieds, deux mains, et le postérieur vissé sur sa chaise de 9h00 (ou 10h30, d’accord… c’est tout de même pas ma faute si je ne suis pas du matin !) à 17h00, à admirer des présentations Power Point et à analyser des tableurs Excel… oui : tout ce petit monde, dans moins de pas longtemps, pourrait fort bien se voir remplacé par une machine virtuelle, abritée dans un serveur cloud, et son avenir professionnel de devenir aussi porteur de promesses qu’un cadeau de fête des pères home made.

Evidemment me direz-vous (si toutefois vous possédez la matière grise de la trempe de celle qui inventa jadis la machine à dépiauter les pistaches), une première solution consisterait simplement en une jolie séance groupée de rétropédalage. Mais ce serait là un choix de société qui nécessiterait une décision collective de notre part, or notre espèce a déjà suffisamment prouvé son incapacité à prendre des décisions de groupe rationnelles et raisonnables (voyez un peu qui le suffrage universel a placé aux commandes des cinq plus grandes nations de la planète, et osez encore utiliser devant moi l’expression « intelligence collective » ; osez seulement !).

Dès lors, la viabilité de ce nouveau modèle, basé sur le postulat de plus en plus vraisemblable d’un grand remplacement virtuel, ne dépendra que d’une chose : la capacité des petits génies qui oeuvrent actuellement à cette révolution numérique (a priori sans se douter du danger, ou alors ils cachent vraiment bien leurs angoisses existentielles) à assurer la subsistance de toute cette classe moyenne mise ainsi à la retraite anticipée pour cause de caducité.

Si jamais il s’avère alors réellement possible de faire travailler les machines, non seulement à notre place mais aussi à notre bénéfice, nous nous retrouverons sous peu avec plusieurs centaines de millions d’individus en vacances ad vitam… Et cette perspective me semble à peu près aussi réjouissante que l’idée d’habiter en face d’un réacteur nucléaire soviétique.

Car en repensant à ce bel apophtegme san-antonien ci plus haut, s’il existe au monde une chose plus redoutable encore qu’un con avec du temps libre, ce sont bien des MILLIONS de cons avec du temps libre !! Dans cette lamentable perspective, il n’est certainement pas trop tôt pour nous poser LA question cruciale : qu’allons-nous bien pouvoir faire de tous ces sybarites en puissance, dotés de pensions à vie, armés de temps libre et de ce manque d’imagination créatrice qui caractérise l’homo sapiens lambda ?!

Une première certitude : nous devrons à tout prix les éloigner des enfants, si nous ne voulons pas produire une réaction en chaîne. Déjà qu’une portion congrue de nos petits humains en devenir ne sont, par le hasard de la génétique, pas destinés à inventer la machine à écosser les petits pois… si en plus nous les confions à plein temps à leurs géniteurs en excès de temps libre, je vous laisse imaginer la catastrophe ; l’Apocalypse promise par la Bible, à côté, fera figure d’un innocent picnic en famille !

Autre certitude : de toute évidence, nous ne sommes pas tous équipés du savoir-faire, du savoir-vivre et de l’habileté nécessaires pour employer notre temps libre à la création artistique, à la production cinématographique, ou encore à la performance sportive. Sur les centaines de millions d’individus qui pourraient bientôt être lâchés dans la nature avec l’équivalent d’un Win for Life dans leur sac banane, certains – sans doute la grande majorité – ne trouveront pas d’autre occupation que de « perdre le temps des autres ». Un tel potentiel de nuisance ne peut que nous effrayer !

Enfin, le plus dramatique dans tout ça, c’est que si nous devenons vraiment un demi-milliard d’humains en vacances perpétuelles, et dotés d’un minimum de pouvoir d’achat, trouver une destination de villégiature qui ne soit pas envahie par les touristes teutons va devenir une sinécure : à part une favella brésilienne, ou bien le Sahel en plein été… où que nous allions, nous risquons fort de ne rencontrer sur notre route que des paires de chaussettes blanches en sandales et des casquettes à visières fluos ! Il n’est peut-être pas trop tard pour cette séance de rétropédalage… ?

En attendant, sur cette promesse d’un avenir radieux, je dois vous laisser : ce Power Point, que j’ai promis à mon employeur pour avant-hier sans faute, semble refuser de se rédiger tout seul… Vivement le progrès !

A la semaine prochaine,

Kika

*N’insistez pas : je vous dis que je fais très attention aux fautes, et que je ne me fie qu’aux correcteurs humanoïdes !

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