Habituellement, les gens qui se plaignent de vivre « dans un monde aseptisé » le font avec un mégot usé au bec, une haleine de chacal, et dans le fond des yeux ce petit reflet ocre qui vous inspire une infinie compassion pour leur foie, qui n’a plus dû voir passer un verre d’eau depuis belle luette (rajoutez le « r » si vous y tenez vraiment, mais moi je préfère sans).
Dans un même ordre d’idées, ceux qui se plaignent des méfaits de la « bienpensance » sont en général des gens qui voudraient encore pouvoir, à l’instar de leurs grands-parents, se permettre une petite blague homophobe de temps en temps dans l’espace public sans avoir à regarder par-dessus leur épaule ; ils sont souvent les auteurs d’affirmations captivantes démarrant par « je ne suis pas raciste, mais… », ou autres « je ne suis pas nazi, mais tout de même, Hitler était un grand peintre, et puis d’ailleurs il faut pouvoir séparer l’homme de l’oeuvre ».
La plus grande rigueur intellectuelle est toujours de mise lorsque l’on veut s’attaquer aux grandes tendances de notre société sans rapidement s’engoncer dans des certitudes abstraites et irréalistes, et sombrer dans la caricature en devenant ce que l’on nomme dans le jargon « un vieux con rabougri ». BHL, Finkielkraut, Onfray… La liste des victimes est aussi longue qu’un mois de janvier en Belgique, et presque aussi scabreuse.
Et pourtant, force nous est d’admettre qu’en effet, il est parfois difficile de sortir de chez soi sans tomber sur l’un de ces vilains culpabilisateurs professionnels, toujours prompts à vous rappeler que manger cette pomme issue de la culture intensive est du suicide, que consommer de la viande est un meurtre, que le plastique d’emballage de votre sandwich s’apprête déjà à tuer un dauphin en Méditerranée, et que prendre votre voiture pour venir au bureau, même si cela vous fait gagner une heure et demi de temps de trajet quotidien, est un acte de pur égoïsme que vos enfants et petits-enfants ne vous pardonneront jamais.
Car autant il est un fait certain que notre monde, et l’humanité qui l’occupe en prenant ses aises, sont des choses encore hautement perfectibles, autant il nous faut bien reconnaître que parfois, sous fond de bonnes intentions, il peut arriver que s’installe parmi nous un certain lissage de la pensée et du discours qui peuvent nous les briser menu ! Ainsi, après s’être habilement débarrassés du tabagisme dans l’espace public, et avoir réussi à faire entrer dans les moeurs l’idée que le moindre excès de vitesse constituait un crime contre l’humanité* ; après nous avoir fait admettre que les handicapés n’étaient pas des handicapés mais bien des « personnes à mobilité réduites »** et que nous étions dorénavant tenus de nommer un chat « un félin » pour ne pas le vexer ; après nous avoir fait gober que l’éolien et les panneaux solaires étaient une alternative viable à cette vilaine énergie nucléaire, et tant d’autres spectaculaires méfaits, les adeptes de la fameuse bienpensance semblent à présent vouloir s’en prendre – à grands coups de taxes et de propagande – à l’éthylisme, l’un des derniers bastions de la liberté individuelle***. Ethylisme sans lequel l’existence en ce bas monde serait à peu près aussi excitante qu’un spectacle de fin d’année dans une école primaire de l’enseignement subsidié, convenons-en.
A ce stade-ci, une petite précision s’impose : loin de moi l’idée de faire ici l’apologie de l’alcoolisme en tant que discipline olympique, ni même en tant que vocation professionnelle. De même, la petite goutte de cognac dans le café du matin, si elle constitue sans nul doute un excellent « coup de fouet » pour entamer une dure journée de labeur, demeure une fausse bonne idée, qui n’inspire pas toujours la confiance parmi vos collaborateurs. Seulement voilà : l’alcool est une drogue dure, certes, mais nom d’une bite (ou « nom d’une bitte » ; les deux graphies sont possibles), on ne peut tout de même pas TOUS se contenter d’une assuétude à l’infusion ayurvédique et aux baies de goji !
Comme le disait Woody Allen : « il est tout à fait possible de vivre centenaire ; il suffit pour cela de renoncer à tout ce qui peut vous donner envie de vivre aussi longtemps ». Pour tout ceux qui ne partagent pas cette ambition de longévité, et sont prêts à renoncer à quelques années d’espérance de vie (bon, allez, disons quelques mois, faut pas déconner non plus !) en échange de sporadiques moments d’entorse aux convenances et à la sobriété, un petit godet de temps en temps pourrait peut-être rester une option légalement autorisée, sans que l’Etat ne se sente obligé d’y ajouter 300% d’accises…? Promis, on évitera les bouteilles en plastique !
A la semaine prochaine, et d’ici là bonnes infusions au ginseng,
Kika
*Alors que tout le monde sait que le code de la route a été imaginé au départ comme une simple suggestion, destinée à garantir le conduire-ensemble et à encourager la fluidité du trafic routier !
**Et c’est un handic’ qui vous le dit : c’est complètement con ! Personne ne s’est jamais senti mieux juste parce qu’on lui parlait en utilisant des périphrases.
***Avec le dark web, mais qui a étonnamment lui-aussi ses détracteurs, bien qu’il soit parait-il très pratique lorsque vous cherchez en last minute un tueur à gages, 10 kilogrammes d’héroïne pure et un fusil AK47. Des souhaits pourtant bien innocents me semble-t-il…
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