Malgré son titre, cet article n’est pas une ode à l’oeuvre monumentale de Led Zeppelin. Je le dis tout de suite, afin que vous ne puissiez pas m’accuser de publicité mensongère à la fin de votre lecture, dans 6 minutes environ (15 si vous êtes mon voisin de palier, 48 secondes si vous êtes ma relectrice officielle).
Au fil des ans, nous nous sommes collectivement (et de très bon gré, avouons-le !) lancés dans une surenchère de communication dont l’issue paraît incertaine – mais ô combien inquiétante. Ainsi, il y a une centaine d’années seulement – l’équivalent d’une nanoseconde dans l’Histoire de l’humanité – les seules façons d’interrompre son prochain à distance se comptaient sur les doigts de la main de Django Reinhardt.
Il y avait le télégramme, dont chaque mot était facturé, et chaque pensée interrompue d’un signe « STOP » qui obligeait l’utilisateur à la plus grande concision. Le téléphone faisait irruption dans les chaumières les plus aisées, mais restait utilisé avec une extrême parcimonie : le temps que la standardiste vous mette en relation avec « le 22 à Asnières », vous aviez le temps de préparer pour votre interlocuteur un executive summary que même le futur-ex président Trump serait parvenu à retenir. Enfin, si la chose ne vous effrayait pas, vous pouviez prendre un plume d’oie, la tailler, la tremper dans un encrier menaçant de se renverser à tout moment sur votre sous-main, et rédiger en caractères calligraphiés une epître relatant vos dernières aventures. Inutile de dire que les notes de service restaient au placard, et que personne ne vous « lisait en cc ».
Depuis lors, l’humanité a fait des progrès saisissants, pour notre plus grand bonheur… mais peut-être aussi pour notre perte. Car le flux permanent de communication dans lequel nous nous retrouvons aujourd’hui, et la surcharge cognitive qu’il entraîne dans son sillage, ne sont certainement pas étrangers à la naissance des burn-out, dépressions professionnelles et autres albums posthumes de Renaud qui sont à présent légion.
Mais étant donné que se plaindre d’un problème sans agir en retour est à peu près aussi productif que du sport en salle (voir mon précédent article sur le sujet), je me dois d’utiliser le porte-voix que constitue ce blog pour tenter, avec mes modestes moyens, d’éveiller les consciences.
Notez bien que je ne me fais guère d’illusions quant à ma capacité de freiner la fuite en avant de notre espèce ; ainsi, ma récente et farouche diatribe contre le présentéisme au bureau n’a pas empêché ma propre collègue d’apporter une terrible laryngite sur notre lieu de travail la semaine passée, et mes prédictions de 2014, aussi alarmistes qu’avant-gardistes (pour ceux qui se rappelleront mon précédent blog – pour les autres j’ai conservé des preuves tangibles et irréfutables) sur l’élection de Donald Trump (encore lui… je me demande si je ne ferais pas un peu une fixation sur ce con) n’a pas empêché le drame de se réaliser. Mais qu’à cela ne tienne : comme l’écrivait jadis Victor Hugo : « Vous vous taisez. — Mais moi, moi dont parfois le chant se refuse à l’aurore et jamais au couchant (…) Je ne me tairai pas. »
Voici donc révélé le véritable motif de cet article : j’espère qu’il sensibilisera un maximum d’entre vous à ce danger qui nous guette telle la lionne tapie dans les herbes hautes de la savane : la surcommunication.
Car c’est un fait certain que nous avons à présent à notre disposition un redoutable arsenal de moyens de communications nous permettant de surgir inopportunément dans la vie de nos contemporains. Et ces armes d’interruption massive sont sans doute arrivées entre nos mains trop tôt, trop vite, trop aisément : à l’instar de la bombe à neutrons, l’homo sapiens sapiens n’était manifestement pas prêt à en faire un usage raisonnable et raisonné.
Je vous propose donc (et si ça ne vous plaît pas, vous savez où aller vous faire admirer, depuis le temps que vous me lisez !*) de faire ensemble un petit tour d’horizon, voire même un panthéon, des moyens d’interruption massive les plus néfastes, et de leurs regrettables conséquences sur notre santé mentale.
Pour commencer, je pense que nous tomberons tous d’accord pour admettre que le message vocal est l’une des inventions les plus méphistophéliques jamais imaginées. Votre correspondant n’ayant pas eu le temps de mettre en ordre ses deux neurones, intimidé par votre message d’accueil aussi chaleureux qu’une caissière du Nopri, et surpris par le BIP, le voilà qui se lance dans un monologue confus, désordonné, et empreint de silences gênants. Je n’ai pas de preuve formelle, mais je soupçonne depuis longtemps l’armée américaine de s’en servir pour torturer des salafistes à Guantanamo Bay ! « Bonjour. Bienvenue sur votre messagerie vocale. Vous avez … 2 … nouveaux messages, et … aucun … message sauvegardé. Pour écout' » « -Nooon, pitié, pas la messagerie vocale Mobistar !! Raccrochez ce téléphone et je vous donnerai tout ce que vous voudrez ! Al-Baghdadi, Ben Laden junior, Xavier Dupont de Ligonnès, Henri Dès, tout !! »
Juste en-dessous au panthéon, à peine moins intrusive, et tout aussi agaçante : la conversation WhatsApp de plus de huit personnes. A l’inverse du bon vieil échange épistolaire manuscrit évoqué ci-avant, le groupe WhatsApp ne vous épargne pas les notes de services ni les appartés, et au moins une fois par mois, un membre de la conversation se trompe de destinataires, et s’excuse en prime pour la fausse route. Comble de l’horreur : vous ne pouvez quitter une conversation groupée sur cette ignoble application sans que la collectivité n’en soit avertie. On ne compte plus les familles déchirées par des conflits meurtriers, nés simplement parce que Jean-Paul avait osé quitté le WhatsApp familial au mépris des conventions sociales les plus élémentaires.
Je passe rapidement sur la messagerie Facebook et autres succédanés, le SMS que nous ne remercierons jamais assez d’avoir rendu définitivement caduques l’orthographe et la syntaxe, et ne comptez pas sur moi pour parler ici de Skype, la cabine téléphonique du pauvre, dont la seule sonnerie grotesque et totalement désuète vous donnerait envie de crever dans un sitcom français des années nonante (pardon : quatre-vingt-dix !).
Enfin, au sommet du panthéon, celui qui aura à coup sûr notre peau à tous, à moins d’un mouvement de révolte ardemment souhaitable : l’e-mail ! En trente ans, cette créature monstrueuse, oeuvre de deux scientifiques sadiques employés du CERN (avec un nom pareil, pas étonnant qu’ils soient devenus la cause de tant de terreurs nocturnes et autres nuits blanches !) s’est imposée dans nos bureaux, dans nos foyers, dans nos vies, tel un épouvantable blob ! Devenu inévitable, l’e-mail nous encombre, nous englue, nous pollue l’esprit et la planète. Envoyé à tout bout de champ, pour les raisons les plus futiles, le moindre de vos e-mails est capable de faire tout le tour de la Terre avant d’atterrir dans la boîte de réception… de votre voisin de bureau, à qui vous n’alliez bien sûr pas en dévoiler le précieux contenu oralement (faut quand même pas déconner, il serait capable de nier les faits, alors que par écrit, hein…!?).
Surtout, chaque conversation par e-mail, à force de « reply », de « reply to all », de « forward », finit par exister en 317 exemplaires ; très rapidement, comme la chienlit, son contenu se met à envahir 17 dossiers et sous-dossiers, sur 9 appareils mobiles ou immobiles ; il est précieusement sauvegardé dans 13 back-up, et ses mégaoctets prennent place sur une trentaine de serveurs de par le monde. Il fallait bien cela pour que jamais ne se perde votre précieux courriel intitulé « Disponibilité salle de réunion mardi 17/12 15h-18h », destiné à mettre une option sur un local meublé de 6 chaises et d’une table Ikea, pour une réunion putative.
Et surtout, il fallait bien tout ce déploiement d’énergie, de métaux rares et d’eau potable alimentant des circuits de refroidissement dans des fermes à serveurs tentaculaires, pour que les générations futures puissent relire un jour avec émotion la réponse du responsable des salles de réunions : « Ok, réservé ». La bonne nouvelle ? Votre laconique « Merci !! », qui n’avait l’air de rien mais ne quittera jamais votre boîte « Sent items », fera peut-être l’objet un jour, aux environs de l’an 2850, d’une thèse de doctorat intitulée « Politesse et courtoisie dans les échanges épistolaires au temps de l’électronique : comment les bonnes manières ont assassiné les derniers ours polaires ».
En attendant ce jour béni, ou pour éviter ce sinistre dénouement, je vous propose ce simple exercice, qui pourrait s’avérer salvateur. La prochaine fois que vous vous apprêtez à envoyer un e-mail, faites comme moi : ayez une petite pensée pour Jean-Kevin. Jean-Kevin a 12 ans. Il pèse 340 kg, et mesure 2 mètres. C’est un ours blanc. Il se tient assis sur un bout de banquise en goguette, quelque part dans l’Océan Arctique. Ce joli iceberg en train de fondre lentement mais sûrement constitue l’habitat de Jean-Kevin. Et votre e-mail ne fera que précipiter sa disparition – et celle de Jean-Kevin par la même occasion. Et maintenant, à vous de décider : mon e-mail de remerciement aux remerciements de ce sympathique collègue à qui j’ai réservé la salle de réunion, je l’envoie, ou… ?
Sur ce, je vous laisse, j’ai une boîte de réception à vider urgemment.
A bientôt,
Kikh
P.S.: Et si vous faites partie des gens que leur boîte de réception encombrée d’e-mails angoissent, réjouissez-vous : dans mon prochain article, j’ai prévu de vous donner mes quelques trucs et astuces pour conserver une Mailbox (quasi) vide !
*Je présente ici mes excuses à mon fan club : je suis un peu à court de métaphores hellénophiles…
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