Dans notre précédent article, nous avions laissé Jean-Kevin l’ours blanc seul sur son morceau de banquise à la dérive dans l’océan arctique. Je vous imagine inquiets de savoir ce qu’il est advenu de ce malheureux, à présent qu’il a dû finir de croquer tous les pingouins à sa disposition, et que les eaux tempérées du sud-Groenland se rapprochent dangereusement.
Eh bien rassurez-vous : doté d’un minimum de sens de l’initiative, « Jean-Ké » comme l’appellent ses amis a quitté le navire à hauteur de Nuuk, d’où il a embarqué dans un hydravion vers Iqaluit. Le voyage coûtait littéralement, « la peau du cou », qu’il vendit a un milliardaire chinois disposé à mettre le juste prix pour ce précieux vêtement. Nu comme un ver, mais sain et sauf, Jean-Kevin rentra chez lui, et se rua sur le buffet à volonté du Cachalot Grill le plus proche pour se remettre de ses émotions.
Si cette histoire se termine donc bien pour Jean-Kevin, il n’en va pas de même pour tous nos amis résidents du Cercle arctique. Beaucoup d’entre eux périssent en mer tels des migrants maliens (mais sans le délicieux climat qui fait le succès d’estime du pourtour méditerranéen). Et ce sort tragique est AUSSI (pas exclusivement, mais tout de même) le fruit de notre agitation humaine débordante et trépidante, conséquence de la révolution industrielle et de sa petite soeur au trouble bipolaire : la révolution numérique.
Et je ne cherche évidemment pas ici à vous culpabiliser pour le plaisir ! Si notre usage compulsif du smartphone, des services de messageries, de Facebook et d’Amazon trônent en tête des coupables à l’exploitation surintensive de ces fermes à serveurs qui nous dérèglent le climat (et de nouveau, j’admets bien volontiers que les 20 degrés de la semaine dernière à Bruxelles-sur-plage, en plein mois de novembre, n’ont pas exactement été pour me déplaire !), il ne sera pas dit que je vous laisserai démunis face à votre responsabilité individuelle dans ce drame écologique.
Chose promise, chose due donc (essayez de suivre, ou bien relisez mon précédent article si vous avez la mémoire d’une tanche), voici mes quelques conseils pour épargner ces vilaines fermes à serveurs tout en vous rendant service, en conservant une boîte de réception d’e-mails vierge de tout courriel. Si si, j’insiste ; vous me remercierez plus tard… et si ce n’est pas vous, ce sera Jean-Kevin !
En guise de préambule, mettons-nous d’accord sur deux caractéristiques du courrier électronique, chienlit des temps modernes. 1: l’e-mail n’est qu’un rebut de la pensée ; généralement mal écrit, il ignore les principes élémentaires d’une bonne conversation qui, à l’instar d’une mini-jupe, se doit d’être « suffisamment courte pour capter l’attention, mais suffisamment longue pour couvrir le sujet » (c’est pas de moi, mais j’aime beaucoup). 2: l’e-mail est éphémère, et voué à l’obsolescence sitôt qu’il est compulsé. Partant de là, une conclusion immédiate et radicale s’impose : remettre sous le nez de son prochain un e-mail plusieurs mois après sa rédaction est purement et simplement absurde.
Voici donc le premier « truc » pour une boîte de réception vide : rappelez-vous que ce que vous supprimez n’est pas une epître, un palimpseste, un incunable. Ce n’est pas non plus une preuve tangible de quoi que ce soit ; c’est juste un résidu de pensée brève et instantanée, et qui dans 99,99% des cas ne resservira jamais. Pas de regrets : DELETE !
Pour les angoissés de la vie et autres experts-comptables qui veulent ABSOLUMENT pouvoir prouver plus tard que c’est de la faute de leur chef de service s’ils ont effectué ce versement vers ce compte mal identifié aux Îles Caïman, pas d’inquiétude : avec de tels troubles obsessionnels compulsifs, vous avez certainement répondu à votre chef un super utile « Ok, done!« , qui restera coincé à vie dans un dossier mystérieux intitulé « Messages envoyés » ; il sera toujours temps d’aller y repécher la preuve du délit.
Pour les autres, aventuriers des temps modernes qui n’ont pas peur de supprimer les mails superfétatoires après une lecture diagonale, il reste possible de limiter les effets délétères de votre messagerie électronique. Vous avez sans doute entendu dire toute votre enfance que « un merci ne coûte rien ». C’est faux. Le coût écologique d’un simple « merci » envoyé par mail n’est pas anodin, et si vous multipliez cela par le nombre de fois qu’une andouille parmi nous se croit obligée d’envoyer une communication aussi hautement indispensable, vous comprenez pourquoi Jean-Kevin est un rien vénère en ce moment. Conseil numéro 2 : pas de courriel sans transfert d’information (et d’ailleurs, la politesse, c’est pour les faibles) !
Une autre catégorie d’e-mails que vous pouvez supprimer sans vergogne : celle dont vous n’êtes pas le héros. A chaque fois que vous recevez un mail « en cc », réjouissez-vous : vous n’êtes tenu ni d’y répondre, ni d’en conserver une quelconque trace. Hop, à la corbeille ! Et si le contenu dudit échange vient un jour sur le tapis lors d’une réunion, il sera toujours temps d’utiliser l’une des manoeuvres d’évitement classiques : nier les faits, changer de sujet, affirmer que « vous ne vous rappelez plus exactement » ou encore (ma préférée) : ne rien dire du tout, et prendre un air inspiré tandis que vos collègues se perdent en vaines palabres. Conseil numéro 3.
Sur votre lieu de travail, il peut hélas arriver que des gens attendent de vous que vous exécutiez les tâches pour lesquelles vous êtes rémunéré (allez comprendre…!?). Et de vous signifier par courriel cette inexplicable espérance. Il existe à l’encontre de ces utopistes une parade assez simple : la plupart de leurs e-mails concerne à chaque fois une tâche unique, censée vous échoir. Pour supprimer ce genre de mail déplaisant tout en vous assurant qu’il ne vous reviendra pas au visage tel un boomerang aborigène, l’application « agenda » de votre service de messagerie entre en jeu. Prenez un rendez-vous avec vous-même, avec les grandes lignes de cette tâche à effectuer. Non seulement vous serez sûr de ne pas oublier de faire vos devoirs (ce qui pourrait vous valoir l’inimitié de votre employeur), mais en plus vous pourrez à tout moment sortir votre agenda devant vos amis en prenant un air surmené pour expliquer votre absence à la bar mitsvah du petit Henri-Dylan. Et de 4 !
La dernière astuce n’est à utiliser que dans les cas extrêmes, car elle déplaira à Jean-Kevin. C’est la technique dite « du ping-pong ». Lorsqu’un importun se permet d’encombrer votre INBOX avec un mail requérant un long traitement de votre part, vous savez que sa missive apporte avec elle deux mauvaises nouvelles : les tâches fastidieuses que vous aller devoir accomplir, et le fait que d’ici à ce que vous vous soyez exécuté, ce déplaisant courriel va rester englué des semaines dans votre INBOX telle une sangsue sur un aventurier de la forêt amazonienne. Cette situation grave exige une réponse radicale de votre part, si vous ne voulez pas qu’elle devienne votre quotidien.
C’est là qu’un grand coup de raquette bien placé peut s’avérer salvateur. Cette technique se base sur un nouveau postulat extrêmement fiable : l’individu qui ose ainsi vous sommer de justifier par des actes laborieux vos plantureux émoluments doit plus que probablement appartenir au grand complot des « workaholic », et se trouver en position de supériorité hiérarchique. En d’autres termes, il s’agit d’un ambitieux, l’un de ces idiots évaluant leur propre importance au nombre de courriels qu’ils reçoivent quotidiennement. Or, audacieux comme je vous sais, vous ne manquerez pas d’exploiter des faiblesses aussi manifestes chez votre adversaire (et d’ailleurs, à quel titre devriez-vous le suivre dans son délire mortifère, en suivant cette cadence infernale ?! Très peu pour vous !).
Commencez donc par relire ce vilain courriel empli de commandements rébarbatifs. Repérez-en les faiblesses : imprécisions dans les termes, manque de clarté dans les consignes, effets potentiellement indésirables… et effectuez un magnifique coup droit vers l’envoyeur, à l’aide de périphrases, de circonlocutions et autres ronds de jambes. Le tout sans omettre les formules de politesse les plus ampoulées, destinées à vous rendre inattaquable. Inutile de lésiner sur la marchandise, c’est peut-être votre pause-déjeuner qui est en train de se jouer, ou pire : votre sieste digestive !
Le temps que votre cheffe de service prenne connaissance du véritable roman que vous lui avez pondu, lève les yeux au ciel en se demandant ce qui lui a pris de vous envoyer son satané courriel, et prenne le temps de répondre à vos nombreuses – et justes – interrogations, il y a fort à parier que vous pourrez profiter pendant quelques temps encore de cette belle boîte de réception vide. Et le moment venu, pourquoi ne pas assouvir un peu plus votre amour du sport, en recherchant les faiblesses dans son e-mail de réponse… ?
A la semaine prochaine, et d’ici là, n’oubliez surtout pas le grand pouvoir du combo « MAJUSCULE+DELETE » !
Kikh
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