« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau périple.
Ou comme celui-là qui conquît la Toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Refiler à ses vieux cette innocente grippe ! »
(Joachim du Balai!)
La pandémie qui nous frappe de plein fouet semble donner à quelques uns des idées bien subversives. Et ces ahuris de proférer à qui veut les entendre des inepties du genre : « l’humanité va tirer les conséquences de cette crise », « nous allons vers un changement radical de paradigme » (placer le terme paradigme dans une phrase est l’équivalent de « whiskey » en mot compte triple au Scrabble : jeu, set et match !), ou autres « un nouveau modèle économique plus juste nous attend à la sortie du tunnel ».
Certes, à présent que nous sommes tous plus déconfits que déconfinés, la tentation est grande de nous raccrocher au premier pinceau venu. Néanmoins, ces utopistes de comptoir ne sauraient duper un observateur averti. A la question « l’humanité pourra-t-elle décemment reprendre le cours identique de sa vie après cette épreuve », je vous livre la réponse ici : « oui, et sans devoir forcer son talent ».
Si vous ne me croyez pas, fermez les yeux et pensez à la première chose que vous allez faire le jour de la libération. A moins que ce ne soit une vidéoconférence en mangeant un plat de légumes BIO de saison après avoir revendu votre voiture et renoncé définitivement au transport aérien, vous devriez avoir la preuve que vous vouliez (mais à ce stade-ci, ce serait quand même bien qu’on parte du principe que j’ai raison, histoire de m’épargner ces laborieuses démonstrations ; ça vous va ? Parfait !).
Cette épineuse question résolue, je suis tout de même heureux de vous annoncer qu’il y a une bonne nouvelle dans ce confinement qui nous menace de neurasthénie collective. En s’installant aussi grossièrement dans nos masures, le Covid-19 avait emporté dans son ne-peut-plus-sortir-baiser-en-ville un cadeau rare et précieux. Une chose oubliée, et datant de l’ère pré-virtuelle : du temps libre.
Avec la justesse d’esprit que je vous sais, vous ne manquerez pas de me rétorquer que le temps libre est une chose éminemment redoutable entre les mains des imbéciles. Et il est vrai qu’à ce titre, il deviendrait urgent de déconfiner un certain nombre de cons finis, histoire de libérer leurs femmes et enfants victimes de Fort-Chabrol en bonnes et dues formes. Et par la même occasion, d’éloigner ces crétins des boutons « Share » sous les articles complotistes et autres fake news grossières qui déploient leurs tentacules sur les internets à l’intention des plus médusés.
Mais ce serait oublier un peu vite que le temps libre constitue aussi un outil puissant, lorsqu’il daigne se mettre au service d’individus aux desseins plus ambitieux. Ceux-là même qui, par excès de leur imagination fertile, en manquent souvent le plus cruellement.
Parmi ces projets d’envergure qui dormaient dans les cartons, nous pourrions prendre le temps de tacler certaines idées reçues ayant encore la vie dure. Car c’est une contradiction de notre ère moderne : autant nous sommes devenus friands d’objets en kit façon Ikea, autant nous sommes restés fanatiques d’idées montées de toute pièce, prémâchées et ne nécessitant surtout aucun effort de reconstruction.
Or, la notice du savoir-vivre et de la logique élémentaire n’est pas aussi compliquée qu’elle n’en a l’air. Comme je vous sens aussi sceptiques qu’une fosse d’aisance, voici quelques idées reçues et autres mystifications récentes, vis-à-vis desquelles le moment me semble venu de prendre les distances de sécurité qui s’imposent. Haut les masques (#stayhomestaysafe) !
Pour commencer par un exemple simple et concret, prenons le concept de « matin ». Il persiste un débat très ancien, qui pourrait se résumer à ce fameux dicton « Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt ». C’est une ânerie. Le monde n’appartient bien sûr pas à ceux qui se lèvent tôt, sans quoi les éboueurs et les cheminots auraient déjà conquis la planète depuis belle luette.
Sans vouloir me fâcher avec une jeune lectrice occasionnelle de ce blog, qui m’a récemment avoué sans honte qu’elle était je cite « du matin » (horresco referens !), il faut définitivement battre en brèche cette fausse idée selon laquelle les premières heures d’ensoleillement seraient un moment propice à quoi que que ce soit. Ne fut-ce qu’au vu des files devant les supermarchés, qui s’arrêtent comme par miracle tous les jours vers 12h45, nous pouvons réaffirmer haut et fort : le matin, c’est largement surfait.
A côté de ce petit détail horaire, bien d’autres concepts vides de sens continuent, malgré leur inanité, à rythmer notre quotidien et à formater nos relations humaines.
Ainsi, en dépit de ce que semble penser votre patron (mais qui écoute encore les élucubrations de ce matamore ?!), il n’est pas nécessaire, en réunions, d’essayer systématiquement de penser « outside the box ». La chose est devenue tellement INSIDE the box que la pensée outside the box est à présent la nouvelle box. Cessez donc de vous flageller chaque fois que vous ressortez d’un meeting ZOOM sans avoir émis une opinion formidablement disruptive. On ne va pas réinventer la roue toutes les trois semaines. Déjà que se taper le garage le plus proche deux fois par an pour chausser vos pneus hiver est d’un insondable ennui… !
Une autre idée inepte qui prend racine : cette inquiétude de plus en plus palpable pour nos seniors dans leurs maisons de repos, qui commenceraient à trouver le temps long depuis un mois que ce lockdown a commencé. Je tiens à rappeler que, plus que jamais en ce dimanche pascal, nos aïeux victimes d’Alzheimer ont sur le commun des mortels un avantage capital : ils peuvent cacher leurs propres oeufs de Pâques ! Prends ça, trentenaire célibataire en train de parader dans ton jardin désoeufé !
Incapables de se rappeler qu’ils nous en voulaient, nos chers grands-parents prennent leur revanche en gardant le triomphe modeste. Et c’est tout à leur honneur. Ces baby-boomers ne sont pas aussi grossiers qu’on le disait ; encore une idée reçue à oublier au plus vite (dans leur cas c’est déjà fait !).
Enfin, le nez coincé dans un énième fait-chier Excel, en train de cirer les bottes de votre supérieur hiérarchique pour de basses raisons pécuniaires (alors qu’enfin, et une bonne fois pour toute : QUI demande son avis à cet histrion ?!), l’information vous a peut-être échappé. La Chine se plaint depuis peu de cas de Covid-19 réimportés de l’étranger. En d’autres termes, les restes du monde ont osé renvoyer le virus à l’expéditeur, qui bien évidemment ne manque pas de crier au scandale : donner c’est donner, reprendre c’est voler !
Fort heureusement, pour mettre en pièces cet adage complètement dépassé, le sociologue Marcus Mauss a depuis longtemps déjà théorisé le principe du don et du contre-don, élément constitutif indispensable du vivre-ensemble. A ce titre, si quelques-uns de mes lecteurs se savent porteurs asymptomatiques d’un quelconque coronavirus, n’oubliez pas d’en renvoyer quelques échantillons vers les étals de Wuhan et de Shanghaï qui viennent de rouvrir comme si de rien n’était (se référer au paragraphe 2).
Subrepticement glissés dans un gratin de chauve-souris ou dans une tourte de pangolin… Votre petit plat infecté avec amour fera sûrement des heureux ! Il en va du plus alimentaire savoir-vivres ; on ne va tout de même pas s’excuser si, en récupérant sa vilaine grippe, Chang caille sec !
Ca n’a rien à voir mais, dernière idée reçue à réduire en poussière : il semblerait qu’il soit impossible d’être génial tout le temps. Là encore, je vous propose de partir du principe que je sais de quoi je parle. Ca vous va ? Parfait !
Bonne après-midi, et à la semaine prochaine,
Kikh
P.S.: si vous êtes la lectrice mentionnée ci plus haut, rassurez vous : on n’a rien contre la Belgique qui se lève tôt… on lui demandera juste de le faire à pas feutrés, pour ne pas réveiller celle qui s’est couchée tard !
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