Nethen-sur-Dyle, en l’An de Grâce deux-mille-vingt.
Je prie mon lecteur de se remémorer ces paroles. Nous avions convenu dans nostre chronique de la semaine passée (du moins, votre serviteur avait-il convenu, et comme vous ne réagîtes point, vous en fûtes les honorables complices) que prochainement s’achèverait ce confinement, et qu’il nous serait bientôt loisible de revoir moult tierces personnes, bien en chair (annulation des joutes et tournois oblige) et en os.
Cinq semaines déjà que notre bon royaume subit le châtiment divin, et nous espérons voir bientôt l’issue de cette féroce bataille. Certes, notre bon peuple ne sera-t-il guère libéré sur-le-champ. Mais il est temps pour les historiographes de tirer les premières leçons de ce confinement. Nous l’allons tenter ici, afin que tel fléau ne sombre trop prestement dans les oubliettes.
« A quelque chose, mal’heur estoit bon » ; cet emmurement dans nos donjons nous aura permis de valider quelques théories jusque là mises à l’index, et apporté son lot de découvertes que nul conteur occitan n’aurait osé imaginer. Je vous propose d’en faire ici un premier tri tous ensemble (et ayez-en bonne souvenance : qui ne pipe mot consent !).
Par exemple, et grâce en soit rendue à la prestation d’ensemble de Coronavirus le Menestrel, nous avons reçu la confirmation qu’un grand nombre de nos manageurs, contremaîtres et autres surintendants auront beau quitter bientôt leurs tours d’ivoire, il leur faudra encore parcourir de nombreuses lieues avant de sortir de leur forêt.
Leur utilisation tout-à-fait compulsive des e-réunions et des vidéo-conférences prouve de façon indéniable qu’ils n’ont toujours rien saisi au concept de chaumièreworking.
Un petit conseil, pour le cas où l’un d’entre eux tomberait par accident sur ce e-palimpseste, en cherchant la porte des latrines : ce n’est pas parce qu’ils sont seuls dans leurs métairies que vos fidèles vassaux vont sombrer dans l’oisiveté. Si telle était jamais leur intention, oyez-moi sur parole : ils n’auront pas attendu d’être claquemurés dans leurs culs-de-basse-fosse pour se mettre à glander. Ils pouvaient déjà très bien le faire au bureau, malgré le bugle de vos naseaux par-dessus leurs épaules !
Du coup, afin que ce châtiment divin ne soit jamais dit vain, petite note à nos fidèles suzerains : le temps que vos larbins passent à remplir des timeshit dans ces fameux fais-chier Excel ; les heures qu’ils consacrent à vous faire du reporting… ils ne les passent pas à faire des choses à vous reporter. A bon oyeur… salutations !
Il est connu itou que l’espèce humaine, malgré tous ses défauts, possède une faculté d’adaptation comme oncque créature de Dieu. Mais c’est tout de même chose étonnante : en moins de deux lunes, nous sommes parvenus à intégrer des mesures de distanciation sociale qui sembloient tant contre-nature au premier abord. A tel point qu’en tombant sur un film de Disney, nous commençons par nous demander comment Blanche-Neige et sept nabots sont encore autorisés à vivre sous le même toit de chaume !!
A côté de cela, Covid le Trouvère nous a offert à tous l’occasion de nouvelles expérimentations, plus ahurissantes les unes que les autres, et qui pourraient bien changer nos existences ad vitam.
Certes, nous n’ignorions point que le taylorisme et la division des tâches ménagères étaient voués à disparaître. Un serf qui se respecte doit désormais savoir tout faire, de la potée à la mercerie, du glanage à la gestion de parc informatique. Mais songez au nombre de chevaliers des temps modernes qui pourraient avoir découvert, grâce à ce confinement, le fonctionnement d’une machine à laver !
(Petite remarque personnelle de l’auteur : je ne comprends guère ce qui poussa les femmes à exiger pendant des siècles d’en faire leur chasse gardée. J’ai essayé ; eh bien, la lessive, c’est une activité très surfaite. Contrairement aux joutes en chambre, la première fois on se surpasse, puis ça devient juste ennuyeux.)
Une autre leçon édifiante pour la postérité : la corporation des barbiers a du mouron à se faire après la libération ! Une tondeuse à sabot, et hop : en tonsure Simone ! (Notons que même Nostradakikh n’aurait pu prédire que la pratique de l’autocapilliculture pût un jour acquérir portée si hautement politique.)
Dans le registre amoureux, une autre leçon captivante nous fut offerte par Wuhan le Troubadour, prouvant que le Moyen-âge n’est pas si loin que nous le pensions.
L’humanité vient de faire une volte-face en un temps record. Avec Tinder, il était devenu possible de rencontrer, séduire, lutiner et larguer une ribaude (ou un malandrin, nous ne sommes plus au Moyen-âge, vous faites ce que vous voulez) en moins de temps qu’il n’en faut pour seller son destrier et traverser le tunnel Leopold II aux heures de pointe.
Songez maintenant à tous les amoureux transis en train de faire la cour à l’objet de leur convoitise par missives interposées… depuis 5 semaines ! De quoi faire passer l’amour courtois de jadis pour une démonstration de rudesse digne du dernier des soudards !!
Pour achever cette missive sur une note (de troubadour) plus joyeuse, qui sait si nous n’allons pas ENFIN faire cesser séance tenante une profonde incurie ? Au lieu de l’irritant costume-cravate encore trop souvent de rigueur lorsque vous vous rendez au bourg, et maintenant qu’il reçoit ses sujets depuis un mois en direct et en caleçon dans ses appartements privés… le sénéchal pourra-t-il vraiment vous faire un reproche, lorsque vous reviendrez au scriptorium lui livrer votre rapport hebdomadaire en tongs, bermuda et chemise hawaïenne ?
A la semaine prochaine, pour une nouvelle ballade à conter aux archers du roi s’ils vous surprennent en maraude avant la fin du confinement,
Kikh
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