(Une jolie histoire dédiée à mes filleules, qui m’épatent de jour en jour, ndla)
Préface
Le conteur Héradote, historien et contempteur de son temps aussi célèbre que sénile, a apparemment échoué sur une petite île déserte au cours d’une innocente croisière à bord d’une trirème Costa. Il emportait avec lui ses tablettes sur lesquelles il avait rédigé la seule et unique version de l’épopée légendaire d’Ursule.
C’est la raison pour laquelle l’histoire de ses exploits a mis tant de temps à nous parvenir ; le moment est venu de redonner à Ursule sa place dans la légende, en publiant enfin cet édifiant récit.
Prolégomènes
Héradote-le-Sénile
Ile de Nethennos
An de la XXXIIe 0lympiade sacrée
Ursule naquit à Thessalonique, au bord de la mer, par une nuit de colère du dieu Poséidon. Hippolyté, sa mère, était une fière guerrière Amazon ; avec ses troupes, elle empaquetait les colis au centre de distribution local, au sein duquel elle avait été élue déléguée syndicale. Elle était pour ses collègues un véritable bouclier contre l’exploitation et l’esclavagisme (note du traducteur: des pratiques que l’on imagine fréquentes en ces temps très reculés, et qui nous semblent aujourd’hui si difficiles à imaginer).
Hippolyté allait élever seule une enfant exceptionnelle ; son géniteur, un apollon rencontré dans une taverne à mezze, avait disparu le lendemain sans laisser de Thraces (pour ma défense, je pense que nous savions tous que j’allais la faire, donc autant nous en débarrasser tout de suite).
Ursule apprit de sa glorieuse mère tout ce que doit savoir une guerrière, du maniement des armes à la préparation du tzatziki, de la conduite d’un char à la bonne tenue de son gynécée, et de la navigation en mer à l’évitement des parkings souterrains à la nuit tombée – parce qu’une jeune hellène ne sait jamais sur quel misthios chelou elle pourrait tomber. Notre belle Grèce de Périclite est un lieu un peu impitoyable pour les jeunes filles – puissent nos descendants nous pardonner !
Forte de cet apprentissage militaire et intellectuel rigoureux, Ursule eut bien vite l’occasion d’accomplir son premier exploit. Au sortir d’une bamboche dionysiaque sur la plage de Lerne (deuxième à gauche en quittant Thessalonique, ndt), où elle se rendait pour la première fois sans la tendre férule d’Hippolyté, elle fit une rencontre qui devait changer sa vie à tout jamais.
Le tout-puissant Zeus en personne était venu prendre un bain de foule au bord de la mer. Avec sa beauté diaphane, son élégance et sa puissance contenue, Ursule lui avait immédiatement tapé dans l’oeil – quand ce mufle avait osé envisager de lui explorer sa colline d’Aphrodite sans son consentement explicite (#RGPD). Il avait engagé la conversation avec charme et discrétion, mais Ursule ne fut pas dupe : ce n’était que roucouler pour mieux sauter !!
La Thessalie depuis lors commémore à date fixe le jour où une jeune adolescente parvint à terrasser l’Ivre de Lerne (remarque de l’éditeur : cette fête avait lieu le 8ème jour d’Elaphébolion, équivalent de notre mois de mars – une tradition qui perdure d’ailleurs).
Les échos de cette prouesse inouïe parvinrent aux oreilles du célèbre Trudos II, roi de Thessalonique, qui y vit une possible solution à ses nombreux tourments.
Trudos II et les Travaux d’Ursule
Comme tout souverain qui se respecte, Trudos le Bienveillant avait de nombreux problèmes à résoudre. Notamment parce que Thessalonique, joyau de la Méditerranée, avait le malheur de se trouver bordée d’un autre royaume à la réputation peu flatteuse…
Cette magnifique contrée voisine était en effet habitée par une population légèrement obtuse et peu intéressée par les choses de l’esprit : les Béotiens. Lors de l’une de ses crises de transes, la Pythie de Delphes alla même jusqu’à affirmer un jour – mais qui croit encore les élucubrations de cette hystérique ?! – qu’ils finiraient par rester dans l’Histoire comme les plus grandes andouilles que la Grèce ait portées. Cette idée semble quelque peu exagérée, mais allez savoir…
Pour couronner le tout (avec mauvais jeu de mots), leur roi Donaldos X (nul ne sut jamais s’il était le dixième monarque du nom, ou si c’était juste une référence à sa façon très personnelle de signer les documents officiels), était connu pour être aussi rustre que bas de plafond.
Trudos II s’inquiétait des prochaines frasques de son voisin, et cherchait en vain le moyen d’endiguer la menace. L’édification d’un mur n’était évidemment pas une solution ; c’eut été coûteux et inefficace, et aucun monarque sain d’esprit n’eut envisagé idée aussi ridicule. Il avait aussi pensé faire appel au grand Hercule pour l’aider dans sa tâche, mais il était de notoriété publique que les services du célèbre héros étaient hors de prix. Par ailleurs, un dénommé Augias avait appris à ses dépends qu’Hercule n’était pas spécialement disposé à proposer à ses clients des solutions de paiements échelonnés…
De plus, le puissant Hercule était lui-même Béotien et fier de l’être… et de surcroît trop occupé à génocider des espèces en voie de disparition pour s’intéresser à de vagues querelles de voisinage.
Aussi, le roi de Thessalonique ayant eu ouï dire qu’Ursule avait fait dire ouille à Zeus en personne, la fit immédiatement convoquer. Il songea que certes, les missions qui l’attendaient étaient plutôt un travail de bonhomme a priori, mais qu’à tout le moins, Ursule accepterait sûrement un salaire plus modeste en échange de son aide – et n’aurait jamais l’idée saugrenue d’en espérer la moindre notoriété, au titre que « tout de même, une femme, hein…?! bon…?! bref !! » (ce qui était effectivement un argument sensé, convenons-en !).
Les nouvelles écuries d’Augias
Le problème le plus pressant était donc d’endiguer l’épidémie de connerie congénitale qui frappait la Béotie de plein fouet. Ursule, consciente qu’il était dans son propre intérêt de ne pas laisser ce fléau se répandre jusque devant sa porte, en fit une affaire personnelle. Elle se rendit à Thèbes pour mener son enquête, et découvrit bien vite la source du problème.
Donaldos, aussi fourbe que mesquin, avait déployé autour de son royaume une chaîne de désinformation en continu. A l’intérieur se déployait une véritable toile aux ramifications tentaculaires, qui devait être nettoyée au plus vite ! Ne faisant ni une deux, Ursule rendit une petite visite nocturne au grand héros Ajax, et lui subtilisa la recette de son puissant Détroll – sans le réveiller, car nous connaissons le tempérament de certaines célébrités, et Ursule entendait bien faire carrière sans coucher !
Quoique d’une efficacité redoutable, une pleine amphore du produit miracle ne suffit pas à entièrement détroller la toile tendue par Donaldos. Les Béotiens demeuraient fidèles jusqu’à l’absurde à leur absurde souverain ; Ursule n’avait pas le choix. Suivant l’exemple du grand Hercule, face à un tel vilain bête, il fallait couper la tête !
Sitôt dit, sitôt fait ! Avec sa ruse, il fut assez facile pour Ursule de s’infiltrer au palais et d’y accomplir le nécessaire. Par mesure de discrétion, elle rapporta la preuve de son succès bien cachée sous une peau de sanglier ; ravi de cet exploit légendaire, Trudos l’invita bien vite à se délester sans ménagements de cet encombrant colis : « Balance ton porc, et viens prendre un pot ! », s’exclama-t-il.
Ursule venait d’accomplir trois exploits en un, ce qui incita ensuite des générations de ses consoeurs à adopter le multitasking comme mode de fonctionnement.
D’autres exploits étaient encore à venir, que nous vous raconterons dans le prochain épisode des 7 Travaux d’Ursule !
A la semaine prochaine, et d’ici là, n’oubliez pas : contre une épidémie d’ignorance crasse, plutôt que de s’en laver les mains, un bon coup de Détroll, c’est de l’hygiène élémentaire !
Kikh
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